26 janvier 2006

Un Moi maltraité...

"La mélancolie : un moi maltraité par l’idéal"
Sigmund Freud

La transformation en manie ne constitue pas un trait indispensable du tableau morbide de la dépression mélancolique. Il y a des mélancolies simples, à accès unique, ou périodiques, qui ne subissent jamais ce sort. Mais il y a, d’autre part, des mélancolies dans lesquelles les occasions extérieures jouent un rôle étiologique évident.
Ce sont celles qui surviennent soit à la suite de la mort d’un être aimé, soit à la suite de circonstances qui ont déterminé le détachement de la libido d’un objet aimé. Comme les mélancolies spontanées, ces mélancolies psychogènes peuvent subir la transformation en manie, avec retour consécutif à la mélancolie, le cycle recommençant ainsi plusieurs fois.
La situation est donc assez obscure, d’autant que rares sont encore les formes et les cas de mélancolie qui aient été jusqu'à présent soumis à l’examen psychanalytique. Les seuls cas que nous comprenions bien actuellement sont ceux où l’objet a été abandonné, parce qu’il s’est montré indigne d’amour. Il se trouve alors, par le mécanisme de l’identification, reconstitué dans le Moi et sévèrement jugé par l’idéal du Moi. Les reproches et attaques dirigés contre l’objet se manifestent alors sous la forme de reproches qu’on s’adresse à soi-même.
Même une mélancolie de ce dernier genre peut se transformer en manie, de sorte que cette possibilité apparaît comme une particularité indépendante de tous les autres caractères du tableau morbide.
Mais je ne vois aucune difficulté à introduire dans l’explication des deux variétés de mélancolie, de la spontanée et de la psychogène, le facteur que nous avons défini comme étant la révolte périodique du Moi contre l’idéal du Moi. En ce qui concerne les mélancolies spontanées, on peut admettre que l’idéal manifeste une tendance à la sévérité particulière, ce qui a pour conséquence automatique sa suppression momentanée. Dans les mélancolies psychogènes, la révolte du Moi serait provoquée par les rigueurs que le Moi subit de la part de l’idéal, dans le cas de son identification avec un objet réprouvé et repoussé.