14 février 2006

Quand nous nous réveillons d'entre les morts que l'irrémédiable se fait jour...

Le Suicide, Antoine Wiertz, 1864.


Que s'est-il passé pour le suicidaire ?
Sa tentative désespérée de participer au spectacle l'a jeté tout aussitôt dans la fascination du spectaculaire, en signant de ce fait, et sans qu'il s'en aperçoive, son propre arrêt de mort. Les coulisses ont disparu et le sujet s'est trouvé brutalement confronté aux ressorts secrets de son destin, sans qu'il ait pu les neutraliser de quelque commentaire, puisqu'il en avait banni l'usage dans la souffrance de ses désillusions [le chœur]. On ne lève jmais les yeux sur son double accusateur sans faillir et tomber sous le coup d'une condamnation pour haute trahison. Rien ne nous autorise, en effet, à révéler les arcanes du destin sans y être invitée expressément au moment opportun, c'està dire celui qui préside à la reconstruction historique du sujet, dans les enchaînements qui lui font défaut ; et ne pas respecter la justesse du moment, c'est déclencher la colère des dieux.
De même que l'architecture ne peut transgresser les règles de la construction] qu'advient-il de la mise en scène du drame psychologique si l'on joue à en interrompre le déroulement artistique orchestré par des ruptures de vérité intempestives ? Le rôle et l'acteur s'effondrent ensemble, laissant la scène au déchaînement aveugle et stérile du désespoir. Les moments de vérité sont comme les pierres de fondation d'un édifice ; s'ils s'échappent de la structure de l'ensemble, ce derneir s'écroule et les matériaux se dispersent au gré des fréquences telluriques. Sur l'avènement de ces intuitions mortelles, les drames d'Ibsen fournissent maintes situations dans lesquelles la jouissance de l'irréparable atteint une frénésie peu commune ; toutes les relations humaines, sentimentales ou sociales, sombrent dans la désillusion des projections inconscientes, pour essayer vainement de regagber une indépendance mythique, jamais envisagée auparavant. Il ne s'agit pas là de la vérité, celle qui, bien entendu, ne peut jamais se dire ; c'est plutôt une volonté de destruction qui, faute justement de ne pas s'exercer différemment, annihile jusqu'aux aspirations les plus ardentes sur le point d'aboutir. La passion de l'échec, et même des échecs, si l'on entend par là le risque des meurtres successifs ... Alors, tenons-nous sur les bords, et pratiquons l'art de la litote ; le sublime en consacrera la limite et l'art de vivre passera inaperçu dans son véritable silence.