02 septembre 2008

L'oeil. En lui, il y a l'âme, il y a l'homme qui pense, l'homme qui aime, l'homme qui rit, l'homme qui souffre !

Der Sturz des Ikarus, Pieter Brueghel dem Älteren, 1558.


Comme le fait remarquer le pasteur suisse Jean Rilliet : « Lorsqu'on voit l'ascendant que l'«admirable secret» exerça, soit sur Luther, soit sur Zwingli et Bucer, avant de fasciner Calvin, il ne faut pas oublier trois faits. Tout d'abord, que les Réformateurs rencontrèrent la prédestination chez Augustin, celui des auteurs anciens qui les aida le plus dans leur effort pour rénover l'Église.

En second lieu, qu'elle leur expliquait les résistances auxquelles leur prédication de l'Évangile se heurtait. Enfin, qu'elle les aidait à combattre le mérite des oeuvres et le purgatoire. » (Jean RILLIET, Calvin, Paris, Fayard, collection « les temps et les destins », 1963). Calvin est donc loin d'avoir le monopole de la prédestination : même sans remonter jusqu'à saint Augustin - qui avait d'ailleurs lui-même développé sa doctrine pour mieux lutter contre l'hérésie pélagienne, selon laquelle tout homme est créé aussi libre qu'Adam et peut donc choisir souverainement entre le bien et le mal, ce qui revient à nier le dogme du péché originel, c'est pourquoi l'on parle d'hérésie à ce sujet - , Martin Luther, dès son cours sur l'épître aux Romains de 1516, consacre un paragraphe au problème de la prédestination, et revient sur ce sujet dans le traité Du serf arbitre (1525). Luther souligne l'utilité spirituelle de cette doctrine : elle conduit le chrétien à s'humilier devant Dieu, à renoncer à ses propres mérites et à s'en remettre exclusivement à la grâce. C'est donc le troisième motif avancé par Jean Rilliet qui apparaît donc déterminant dans la démarche luthérienne.

En revanche, il serait sans doute inexact de dire que Calvin ait le même souci d'« utilité spirituelle ».

Dans la grande synthèse théologique que doit être l'Institution, la doctrine de la prédestination trouve sa place au même titre que les autres vérités de la foi. Calvin la définit très clairement : « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu'il voulait faire d'un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à éternelle damnation [...] Le Seigneur marque ceux qu'il a élus en les appelant et justifiant ; aussi au contraire en privant les réprouvés de la connaissance de sa parole ou de la sanctification de son Esprit, il démontre par tels signes quelle sera leur fin et quel jugement leur est préparé. » Sans doute Calvin est-il dès l'origine conscient des protestations que cet exposé ne manquera pas de susciter ; pourtant, dans la polémique qui s'ensuit, il ne cède pas un pouce de terrain, convaincu qu'il s'agit là d'une vérité qui ne doit pas être cachée aux fidèles, et que toute autre tentative de percer la volonté de Dieu n'est qu'une ratiocination quasi blasphématoire : c'est « témérité d'enquérir des causes de la volonté de Dieu. » Celle-ci « est tellement la règle suprême et souveraine de justice que tout ce qu'il veut, il faut le tenir pour juste, d'autant qu'il le veut. » La foi en la prédestination, qui heurte notre raison, apparaît donc comme une suprême action de grâces envers cette sagesse de Dieu qui est folie pour les hommes : « c'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis ; nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire », comme l'écrit l'apôtre Paul (1 Co 2, 6-7).