02 septembre 2008

Vivre faux ne prédestine pas à écrire juste.


Turmbau zu Babel , Pieter Brueghel dem Älteren, 1563.


Si la prolixité de Calvin sur la prédestination visait avant tout à combattre les réserves plus ou moins vives des autres théologiens réformés, comme Sébastien Castellion, elle permit également aux thèses du Réformateur de gagner un grand nombre d'adeptes à l'étranger, notamment aux Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) et en Angleterre. De façon bien réductrice, le terme de calvinisme s'imposa pour désigner la croyance en la prédestination. Le débat théologique n'était cependant pas clos pour autant : pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, la controverse demeura vive entre « calvinistes » et « arminiens », ces derniers tirant leur nom du théologien réformé hollandais Jakob Hermanns, dit Arminius (mort en 1609), qui ne niait pas tant la prédestination que son caractère absolu : l'homme demeure libre d'accepter ou de refuser la grâce de Dieu. Les adversaires d'Arminius, partisans de la stricte doctrine calvinienne, prirent en Hollande le nom de « gomaristes », du nom de leur principal théologien, Frans Gomar.

En Angleterre et dans ses colonies, les « calvinistes » donnèrent naissance au mouvement puritain, promis à une grande fortune dans tout le Royaume-Uni ainsi que dans ses colonies d'Amérique. Dans notre langage courant, le puritanisme est devenu synonyme de pruderie, voire de pudibonderie. Ce n'est pourtant rien d'autre, à l'origine, qu'un souci de pureté dans la vie chrétienne. Le puritain n'aspire en effet qu'à une seule chose : rendre grâces, autant qu'il le peut, au Dieu d'amour qui sauve l'homme malgré son indignité.

Chaque geste de la vie devient ainsi l'occasion de témoigner de la grâce de Dieu et de se sanctifier : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes ? Car vous avez été rachetés à un grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit, qui appartiennent à Dieu » (1Co 6.19-20). Soucieux de se débarrasser des corruptions qui ont pu se glisser dans la tradition, le puritain centre sa spiritualité sur la lecture publique et privée de la Bible, la prière et la prédication. Par une écoute attentive, le fidèle doit se laisser pénétrer entièrement par la Parole de Dieu pour la laisser travailler en lui en comptant sur l'assistance de l'Esprit saint, de façon que tout en lui témoigne de l'Évangile qu'il a reçu du Christ. C'est dans ce souci du témoignage que s'enracine le soin qu'apporte le puritain à l'exemplarité de son comportement : tout doit être fait pour Dieu.

C'est en référence à cette exigence éthique puritaine que s'est développée la notion de calvinisme ; les puritains anglais eux-mêmes se définissaient volontiers comme calvinistes, dans la mesure où ils comprenaient cet adjectif comme voulant dire partisan de la doctrine de la prédestination telle que Calvin l'a exposée, par opposition à leurs adversaires arminiens.

Par l'usage de ce terme, les puritains ont contribué à faire de Calvin l'homme de la prédestination. Et pourtant, aucune Église ne s'est jamais dite calviniste en tant que telle. Le terme apparaît dès la seconde moitié du XVIe siècle sous la plume des adversaires catholiques du Réformateur, dans un sens évidemment péjoratif : il s'agit de dénigrer les schismatiques en faisant d'eux, par cette désignation, les sectateurs d'un hérésiarque quelconque. Il faut néanmoins remarquer qu'il n'en va pas de même pour l'adjectif luthérien, employé d'abord par les partisans de Luther eux-mêmes, violemment récusé d'ailleurs par le réformateur allemand : « Tout d'abord, je demande que l'on veuille bien taire mon nom, et se dire non pas luthérien, mais chrétien. Que signifie Luther ici ? Cette doctrine ne m'appartient pas, et je n'ai non plus été crucifié pour personne, moi ! Saint Paul (I Corinthiens 3) ne tolérait pas que les chrétiens se disent disciples de Paul ou de Pierre, mais simplement chrétiens. Comment pourrait-il se faire que mon misérable nom soit donné aux enfants du Christ, mon nom à moi, enveloppe de chair puante promise aux vers ! Non, pas ainsi, mes bons amis ! Supprimons plutôt les dénominations partisanes, et appelons-nous disciples du Christ, qui est à l'origine de ce que nous enseignons » (Sincère admonestation à tous les chrétiens pour qu'ils se gardent de la révolte et de la sédition).


Or Calvin n'a jamais occupé dans les Églises réformées une position comparable à celle de Luther, a fortiori à celle d'une sorte de pape protestant. S'il est vrai qu'il était respecté et parfois craint de son vivant, Calvin a souvent vu son autorité doctrinale remise en question, comme en témoigne par exemple la réécriture du projet de confession de foi qu'il avait envoyé au premier synode clandestin des Églises réformées à Paris, en 1559, et qui fut adopté officiellement, dans sa seconde version, lors du synode de 1571 à La Rochelle - si bien que l'on parle depuis lors de confession de foi de La Rochelle.

À Genève même, Calvin ne disposait pas de tous les pouvoirs que lui prête volontiers l'historiographie : l'affaire Michel Servet et la violence de la campagne contre les « libertins » ne doivent pas faire oublier que le pouvoir civil (en l'espèce le Grand Conseil) considérait volontiers comme étant de son ressort la plupart des affaires ecclésiastiques : plutôt que de dire que l'Église de Genève avait domestiqué le pouvoir civil, il est bien plus exact de dire que les deux pouvoirs étaient confondus et que le magistrat empiétait au moins autant sur ce que nous considérons aujourd'hui comme les prérogatives de l'Église que celle-ci sur celles du magistrat. Et si Calvin a pu mener à Genève, à partir de son retour dans cette ville en 1541, sa réforme presque comme il l'entendait, c'est qu'il bénéficiait de l'appui indéfectible du magistrat. Il y avait véritablement communion d'intentions, et rejeter sur le seul Calvin les excès, parfois criminels, qui furent commis à Genève au nom de ce que l'on considérait comme la seule vraie foi serait faire peu de cas du pouvoir civil.