06 février 2006

Tragédie ou Tragique

«On reconnaît, avec K. Abraham [Cf. K. Abraham, Esquisse d'une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux, 1924], que la disparition de l'objet - la perte d'une personne chère ou l'effondrement d'un idéal - ne fournit qu'un prétexte à la mélancolie pour se manifester et n'explique nullement la cause de son installation et de sa persistance [...]. Aussi l'avènement de la mélancolie se situe-t-il bien avant l'occasion qui révèle la maladie, et les patients le confirment, qui ne cessent d'en référer au Destin comme à la fatalité qui les a faits «naître sous une mauvaise étoile».» (Marie-Claude Lambotte, p. 139).

«Dans l'impossibilité d'assigner à son mal une origine quelle qu'elle soit - à la différence du sujet dépressif -, le sujet mélancolique reste suspendu à l'uniformité d'un temps sans commencement ni fin et sans qu'il parvienne de ce fait à élaborer un récit de sa maladie et encore moins une histoire de sa vie. Son discours, derrière lequel on ne distingue ni représentation, ni fantasme, relève d'une logique formelle absolue, accentuée par des conjonctions qui donnent aux arguments avancés l'impersonnalité d'une résonnance pseudo-philosophique. «De toute façon, il n'y a pas de sens, il n'y a pas de vérité, donc ce n'est pas la peine de faire quoi que ce soit, etc.» [négativisme systématisé, raisonnement circulaire]». (Marie-claude Lambotte, p. 139-140).
[un patient de Karl Abraham, cité dans Préliminaires] «Je suis si égoïste que je prend mon destin pour le plus tragique.» (p. 224).
[La nourrice d'un patient devenu mélancolique, lorsqu'il avait six ans] «lui faisait valoir qu'ainsi [en pratiquant l'onanisme] il se rendrait malheureux pour le restant de ses jours.» (Karl Abraham, p. 214). A la page 216, Karl Abraham parle de ces mots comme de la «prophétie de la nourrice».
[Un patient de Karl Abraham] «je suis un paria, un maudit, un raté, je n'ai aucune appartenance au monde [...] il se représente sa disparition sans trace» (Karl Abraham, p. 215).
Picasso Tragedia 1903

(retournement tragique, précarité du bonheur - roue de la Fortune -, catastrophe) «En arrière, la relation au sein est l'objet d'une réinterprétation radicale [...]. Cela a pour conséquence que le réinvestissement de la relation heureuse au sein, antérieur à la survenue du complexe de la mère morte, est cette fois affecté du signe de l'éphémère, de la menace catastrophique, et même, si j'ose ainsi m'exprimer, qu'il est un faux sein, porté par un faux self, nourrissant un faux bébé.
Ce bonheur était un leurre. «Jamais je n'ai été aimé» devient une nouvelle devise à laquelle le sujet va s'accrocher et qu'il va s'efforcer de vérifier dans sa vie amoureuse ultérieure. On comprend que l'on ait affaire à un deuil impossible et que la perte métaphorique du sein devient de ce fait inélaborable. Il convient d'ajouter une précision sur les fantasmes oraux canibaliques. Contrairement à ce qui se passe dans la mélancolie, il n'y a pas icic de régression à cette phase. Ce à quoi l'on assiste surtout, c'est à une identification à la mère morte au niveau de la relation orale, et aux défenses qu'elle a suscitées, le sujet redoutant au maximum soit la perte plus complète de l'objet, soit l'envahissement par le vide.» (André Green, «La mère morte», p. 241).