12 avril 2006

Le Conflit...

Orpheus und Eurydike, Friedrich Rehberg, 1810.




René Girard (La Violence et le sacré, 1972) est frappé, dans la tragédie, par l'opposition d'éléments symétriques. Représentation de la violence qui risque à tout moment de mettre en péril les sociétés humaines, le débat tragique n'est qu'un combat singulier dans lequel la parole remplace l'épée : son incarnation parfaite est dans la forme de la stichomythie (dialogue où les antagonistes se répondent vers pour vers). Débat sans solution, où toute intervention nouvelle a pour rôle de rétablir un équilibre dans l'affrontement, et qui est ainsi doublement l'image du «fléau» : support perpétuellement oscillant des deux plateaux de la balance, de deux catégories d'arguments, et calamité qui dissout toute distinction sociale et humaine dans une violence réciproque qui n'a pour issue que la mort. Mais, comme cette violence est jouée, la tragédie tient un rôle analogue à celui du sacrifice dans celui du groupe humain: il reproduit la violence en la détournant de son but naturel et immédiat (les membres de la communauté).

L'immolation du bouc (tragœdia : «chant du bouc») rappelle la crise sanglante toujours possible si le contact social s'effondre et fait communier les participants dans une même complicité. Ainsi, la tragédie voile et dévoile à la fois un même processus : l'homme projette en dehors de lui sa propre violence. Il affirme et finit par croire que c'est le dieu qui réclame le sacrifice : le héros tragique se «livre en aveugle» au destin qu'il s'est construit tout exprès pour justifier un sort joué d'avance» (Dict. des lit; fr. et ét., «Tragédie»)

Il y a tragédie lorsque l'homme par orgueil, ou même par bêtise comme Ajax) entre en contestation avec l'ordre divin, personnifié dans un dieu ou incarné dans la société. et la tragédie sera d'autant plus grande que cette révolte sera plus légitime et cet ordre plus nécessaire. [...] Le héros se révolte et nie l'ordre qui l'opprime, le pouvoir divin, par l'oppression, s'affirme dans la mesure même où on le nie. Autrement dit la révolte à elle seule ne fait pas une tragédie; L'affirmation de l'ordre divin non plus. Il faut une révolte et un ordre, l'un s'arc-boutant à l'autre et chacun renforçant l'autre de sa propre force. Pas d'Œdipe sans le destin résumé par l'oracle. Mais le destin n'aurait pas toute sa fatalité si Œdipe ne le refusait pas.