01 mars 2006

Le fou copie l'artiste, et l'artiste ressemble au fou

Raboteurs de Parquet, Gustave Caillebote, 1875.


Il s'agit de deux façons de devenir autre. On peut être doué par nature pour se modeler soi-même et se faire différent.
Ou bien la folie, c'est-à-dire la sortie de soi-même, rend apte à ce qui est justement l'aliénation, le fait de devenir autre. Plus exactement, le Problème nous dit que le «bien doué» et le fou relèvent d'un même donné naturel, le mélancolique.
Entre l'être bien doué et le fou, il n'y a plus d'alternative. Ce n'est qu'une différence de degré. On ne saurait négliger le témoignage de Diogène Laërce qui nous rapporte un jugement de Théophraste sur Héraclite. «Théophraste affirme que c'est la mélancolie qui est cause que certains de ses écrits sont inachevés, et les autres sans unité.»
Il est important de voir que Théophraste porte là un jugement littéraire, esthétique, sur l'œuvre d'Héraclite qu'on appelle justement l'Obscur en raison de son style, et qu'il explique ce style par la physiologie. C'est une attitude tout à fait conforme à l'esprit du Problème XXX.
Le mélancolique peut être précipité vers une destruction - singulièrement la défenestration - au cours de laquelle il met en scène la chute de ce déchet que représente son corps. Mais il arrive aussi que l'angoisse contribue - à cet instant là très précisément - à créer une œuvre d'art, un écrit, une musique qui va déplier la rétraction dans laquelle le mélancolique s'est enfermé, dans laquelle ses pulsions partielles, loin de dérouler leur trajet, se bouclent sur elles-mêmes.
S'il est un temps de la résistance, s'il est une manifestation de vie dans le monde pétrifié du mélancolique, elle survient au moment où l'angoisse se révèle susceptible de créer un objet cause de désir.