30 avril 2006

Il faut deviner le peintre pour comprendre l'image... Friedrich Nietzsche

Énée décrit à Didon la chute de Troie, Pierre-Narcisse Guérin, 1815.




La baronne de Guénic Béatrix (Balzac)

" Hé bien, elle aime aussi, celle-là", se dit Calyste en repliant la lettre d'un air triste.

Cette tristesse jaillit sur le coeur de la mère comme si quelque lueur lui eût éclairé un abîme. Le baron venait de sortir. Fanny alla pousser le verrou de la tourelle et revint se poser au dossier du fauteuil où était son enfant, comme est la soeur de Didon dans le tableau de Guérin ; elle lui baisa le front en lui disant: " Qu'as-tu, mon Calyste, qui t'attriste? Tu m'as promis de m'expliquer tes assiduités aux Touches; je dois, dis-tu, en bénir la maîtresse.

- Oui certes, dit-il, elle m'a démontré, ma mère chérie, l'insuffisance de mon éducation à une époque où les nobles doivent conquérir une valeur personnelle pour rendre la vie à leur nom. J'étais aussi loin de mon siècle que Guérande est loin de Paris. Elle a été un peu la mère de mon intelligence.

- Ce n'est pas pour cela que je la bénirai, dit la baronne dont les yeux s'emplirent de larmes.

- Maman, s'écria Calyste sur le front de qui tombèrent ces larmes chaudes, deux perles de maternité endolorie! maman, ne pleurez pas, car tout à l'heure je voulais, pour lui rendre service, parcourir le pays depuis la berge aux douaniers jusqu'au bourg de Batz, et elle m'a dit: " Dans quelle inquiétude serait votre mère! "

- Elle a dit cela? je puis donc lui pardonner bien des choses, dit Fanny.

- Félicité ne veut que mon bien, reprit Calyste, elle retient souvent de ces paroles vives et douteuses qui échappent aux artistes, pour ne pas ébranler en moi une foi qu'elle ne sait pas être inébranlable.