21 avril 2006

Le fait tragique peut s'identifier à un malheur inoui.

King Lear, Benjamin West, 1788



Benjamin West, King Lear, 1788

«Pour le vrai poète, la métaphore n'est pas une figure de rhétorique, mais une image substitutive qu'il aperçoit réellement à la place de l'idée. Pour lui, le personnage imaginaire n'est pas un tout composé de traits isolés accumulés, mais une personne vivante qui s'impose à lui et qui ne se distingue de la vision analogue du peintre que parce qu'elle continue perpétuellement de vivre et d'agir. L'émotion dionysiaque est apte à communiquer à une foule entière le don d'artiste de se voir environnéé d'une foule d'esprits auxquels elle se sent foncièrement identique. Ce phénomène du chœur tragique est le phénomène dramatique primitif, qui consiste à se voir métamorphosé et à agir désormais comme si l'on était vraiment entré dans un autre corps, dans un autre personnage; ici l'individu renonce à lui-même du fait qu'il se plonge dans une nature extérieure à lui. Et ce phénomène se produit de façon épidémique : une foule entière se sent en proie à cette métamorphose.»


«Le théâtre serait un exemple, plutôt une issue de l'éthique, en ce que c'est le discours de l'Autre, par définition, qui s'y livre. Alors que peut être le roman exprimerait plus volontiers, surtout depuis le malaise dans la civilisation, le discours du Je. Comme si on entendait sur le théâtre un discours qui ne serait pas du semblant, alors que le théâtre passe pour être le lieu par excellence du simulacre. Mais justement, l'essence fictionnelle de la vérité s'y avère», «Le théâtre est la pratique suprême de l'altruisme. Par un miracle de maîtrise de soi et de renoncement à soi que nous ne pouvons saisir que confusément, le poète dramatique crée des personnages vivants dont l'intensité de vie est exactement proportionnée à leur «autreté», au fait qu'ils ne sont pas des images, des ombres ou des échos de l'auteur lui-même. Certes, la création d'un personnage dramatique a un rapport avec le génie personnel de l'auteur ; mais nous ne savons pas réellement quel rappport. Les personnages sont peut-être, dans la psyché, ces parties d'ombre ou de vie indépendante que le poète ne peut pas intégrer à sa propre personne. Ils sont des cancers de l'imagination, réclamant avec insistance leur droit à vivre en dehors de l'organisme qui les a engendrés (combien de temps un homme pourrait-il supporter d'avoir un Œdipe ou un Lear enfermé en lui ?).»