Ορφέας
Le Chant d'Orphée au jardin des lumières au pays du mirroir des apparences, Luc Archambault, 1995.
Orphée
La légende d'Orphée n'appartient pas, semble-t-il, au cycle primitif des traditions héroïques. Son nom n'apparaît ni dans les poèmes homériques ni chez Hésiode ; et ce n'est probablement pas l'effet d'un hasard. Cependant, Orphée était déjà célèbre au VIe siècle, comme Argonaute et comme poète, même comme devin et comme fondateur des vieux cultes. Il est cité par Ibycos, et par Pindare ; dès ce temps-là, commençaient à circuler sous son nom divers poèmes, oeuvres d'Onomacrite ou d'autres.
Un peu plus tard, Orphée est mentionné par Eschyle, par Phérécyde, par Hellanicos ; Hérodote connaît les mystères orphiques. La légende est assez complète dès la fin du Ve siècle. Euripide montre Orphée charmant les puissances infernales, célébrant les orgies bachiques, entraînant par ses chants les pierres, les arbres et les bêtes. L'auteur du Rhésos le met en rapport avec les Muses, et lui attribue l'institution des mystères. Aristophane le considère comme un des plus anciens poètes et comme l'inventeur des initiations religieuses. Enfin, Platon parle souvent du rôle d'Orphée comme musicien et poète, comme fondateur de cultes et apôtre de la civilisation ; il raconte son expédition aux enfers. Désormais, la légende est fixée dans ses traits essentiels ; elle sera seulement complétée sur quelques points, surtout par des étails romanesques.Pour les poètes comme pour la foule, même pour la plupart des philosophes et des historiens, Orphée était un personnage réel, antérieur à la guerre de Troie, un des héros de l'expédition des Argonautes, auteur de la Théogonie et des autres ouvrages dits orphiques. Les gens bien informés prétendaient même distinguer deux Orphées, ou quatre, jusqu'à six ou sept. Cependant, Hérodote déclarait qu'à son avis aucun poète n'était anterieur à Homère et à Hésiode. Plus tard, on attribuait à Onomacrite, à Cercops ou à d'autres, la plupart des livres orphiques. Il semble même qu'Aristote ait contesté l'existence d'Orphée. Pas plus que les anciens, la critique moderne n'a pu déterminer avec précision si la légende cache un fond de réalité historique.D'après la tradition la plus répandue, Orphée était originaire de Thrace et descendait d'Apollon ; il était fils d'Oeagros, roi de Thrace, et de la muse Calliope. On le considérait généralement comme un roi des Cicones.
D'autres prétendaient qu'il était né à Pieria, près de l'Olympe. On le mettait en relations avec quelques-uns des vieux aèdes de la Thrace. Il était le frère de Linos. On faisait de Musée soit son maître, soit son disciple, ou son fils, ou son petit-fils. Musée est mentionné assez fréquemment dans les ouvrages orphiques ; il figure dans les Argonautiques ; c'est à lui qu'est adressé le soi-disant Testament d'Orphée, et qu'est dédiée la collection des Hymnes. On attribuait à Orphée de nombreux voyages. On le conduisait jusqu'en Egypte, d'où il aurait rapporté l'institution des mystères et la doctrine de l'autre vie. Les chrétiens prétendirent même qu'il avait connu en Egypte les livres de Moïse, et qu'il leur avait emprunté le meilleur de son enseignement. Mais un seul des voyages d'Orphée devint populaire : son expédition en Colchide avec les Argonautes. Jason, sur le conseil de Chiron, avait emmené le musicien thrace pour désarmer les Sirènes, apaiser les querelles, et donner la mesure aux rameurs. D'après Phérécyde, il est vrai, ce n'était pas Orphée, mais Philammon, qui avait joué ce rôle sur le navire Argo. Cette protestation n'eut pas d'écho. Orphée resta l'un des héros des Argonautiques ; sur ce point, les poètes étaient d'accord avec la tradition des Orphiques, comme le prouvent les Argonautica écrites au IVe siècle de notre ère et mises sous le nom du fondateur mythique de la doctrine. On attribuait même à Orphée une prétendue dédicace du navire Argo, composée, disait-on, après le retour des Argonautes, quand Jason consacra son vaisseau à Poseidon.Une autre légende, immortalisée par Virgile, menait Orphée jusqu'aux enfers. Le héros s'était épris de la nymphe Eurydice. Il la séduisit par les sons de sa cithare, et il l'épousa. Un jour, poursuivie par le berger Aristée, Eurydice fuyait à travers les prairies, quand elle fut piquée par un serpent. Elle mourut de sa blessure.
Orphée en fut inconsolable. Il descendit aux enfers pour y réclamer sa femme et réussit à gagner par ses chants Pluton et Perséphone. Il obtint qu'on lui rendrait Eurydice ; mais les dieux infernaux y mirent pour condition qu'il marcherait devant elle et ne se retournerait pas avant d'arriver sur la terre. Orphée manqua à sa promesse, et, de nouveau, perdit Eurydice. Cette légende n'apparaît tout à fait complète qu'au temps de Virgile. Cependant Euripide savait déjà qu'Orphée avait charmé les puissances infernales. Platon avait raconté son voyage aux enfers, mais selon lui les dieux ne lui avaient laissé voir qu'un fantôme d'Eurydice.Sur la mort d'Orphée, les traditions variaient beaucoup. D'après la légende la plus populaire, le héros était devenu misogyne après la perte d'Eurydice. Il repoussa l'amour des femmes de Thrace, détourna du mariage les autres hommes, et refusa de chanter dans les fêtes. Il fut mis en pièces par les Ménades, au bord de l'Hèbre. Ses membres épars furent réunis et enterrés par les Muses. Sa tête et sa lyre, jetées dans le fleuve, furent entraînées par les flots sur la côte de Lesbos. Là, sa tête fut ensevelie par les habitants ; sa lyre, emportée au ciel par les Muses, y devint une constellation. Suivant une autre tradition, Orphée fut déchiré par les Ménades, parce qu'il avait abandonné le culte de Dionysos pour le culte d'Apollon ; et l'on comparait sa mort à celle de Dionysos Zagreus, déchiré par les Titans. On racontait encore qu'Orphée s'était tué lui-même après sa malheureuse expédition aux enfers, ou qu'il avait été foudroyé par Zeus pour avoir révélé aux hommes les mystères. L'exégèse moderne a cherché de différentes façons à expliquer les causes et les diverses péripéties de ce drame.
Mêmes divergences sur le lieu de la sépulture. On admettait généralement que la tête avait été ensevelie sur la côte de Lesbos, près d'Antissa ; mais on ne s'entendait point sur le lieu où reposaient les débris du corps. On racontait qu'ils avaient été transportés par les Muses à Leibethra, au pied de l'Olympe, où les rossignols chantaient, sur le tombeau ; on visitait une autre sépulture d'Orphée à Dion, près de Pydna, et nous possédons le texte de l'épitaphe qu'on y lisait. Un oracle de Dionysos avertit les habitants de Leibethra que leur ville serait détruite le jour où l'on aurait découvert les ossements d'Orphée. On ne saurait guère concilier ces traditions contradictoires.A en croire Cicéron, Orphée n'aurait jamais été l'objet d'un culte. Cependant, le héros avait un sanctuaire à Pieria. I1 avait rendu des oracles dans l'île de Lesbos, à l'endroit où avait été ensevelie sa tête. Ces oracles avaient même eu tant de succès, qu'Apollon s'inquiéta de la concurrence et réduisit Orphée au silence en prophétisant à sa place. Plus tard, Alexandre Sévère plaça dans son lararium une image d'Orphée, à laquelle il rendait un culte. Enfin, saint Augustin nous dit qu'Orphée, sans être considéré comme un véritable dieu, était cependant préposé aux mystères infernaux. Ce témoignage d'Augustin correspond sans doute à la réalité des faits.
Orphée a pu recevoir en divers endroits les honneurs divins ; mais il est resté un héros, même pour les Orphiques, qui vénéraient en lui, non un dieu, mais le révélateur de la vraie religion.L'orphisme tendait d'instinct au monothéisme ; c'est probablement pour cette raison que le culte de son fondateur mythique s'est si peu développé. En revanche, la légende d'Orphée s'est répandue d'assez bonne heure, du VIe au IVe siècle, dans toutes les parties du monde grec. On la retrouve, sous diverses formes, en Macédoine et en Thrace, sur les côtes d'Asie Mineure, dans 1es îles de la mer Egée, à Delphes, en Béotie, à Eleusis et à Athènes, à Egine, à Sicyone, en Laconie, en Epire, à Cyrène et en Egypte, en Italie et en Sicile. Il est probable que cette extension géographique de la légende correspond à celle de l'orphisme, et ce réseau de traditions locales au réseau des confréries orphiques. En tout cas, l'on vénérait partout la mémoire d'Orphée ; on voyait en lui, non seulement l'un des plus anciens aèdes, mais encore un grand inventeur, le fondateur des mystères et de nombreux cultes ; on lui attribuait l'un des premiers rôles dans l'histoire de la civilisation.Depuis le VIe siècle, Orphée fut considéré comme l'un des principaux musiciens et poètes des temps primitifs. On le mettait à côté d'Homère, d'Hésiode, de Musée, de Linos ; on faisait même de lui un ancêtre d'Hésiode et d'Homère. Inspiré par Apollon ou par les Muses, il avait créé le mètre héroïque ; il avait inventé ou perfectionné la lyre ou la cithare, ou encore il l'avait reçue d'Apollon ou d'Hermès. On lui donnait pour fils Rythmonios, personnification du rythme. Par ses chants et par les accords de sa lyre, il avait exercé un pouvoir miraculeux sur les hommes, même sur la nature : il avait su charmer les arbres, attirer les pierres, arrêter le cours des fleuves, adoucir les bêtes sauvages.On honorait aussi dans Orphée l'un des pionniers de la civilisation. Il avait interdit le meurtre et appris aux hommes à préparer leur nourriture. I1 leur avait enseigné l'agriculture, les vertus des plantes et l'art de la médecine, l'écriture, la philosophie.
On le considérait parfois comme l'initiateur de l'amour grec.C'est surtout dans les légendes relatives aux religions grecques, qu'Orphée occupait une place prépondérante. Diverses traditions le mettaient en rapports direct avec bien des divinités, avec Apollon, Hélios et les Muses, avec Dionysos et les Satyres, avec Artémis, Hécate, Hadès et Perséphone. Orphée avait été un très habile devin, un maître en extispicine ; il avait inventé l'ooscopie ou divination par les oeufs, dont il avait donné les règles dans un poème intitulé Oothytica ou Ooscopica. Il passait même pour avoir créé ou perfectionné la magie. Il avait fondé ou popularisé plusieurs cultes importants, le culte d'Apollon, surtout le culte mystique de Dionysos. Il avait institué les orgies bachiques, les cérémonies orphiques, les Eleusinies, même tous les mystères. Il avait fixé le rituel des initiations et des purifications. Il avait exercé autant d'influence sur la religion que sur la poésie et la musique. Le vieil aède, le compagnon des Argonautes, était devenu peu à peu une sorte de prophète, d'une intelligence et d'une puissance surhumaines, instrument et révélateur de la divinité, à la fois prêtre et magicien, poète et théologien, philosophe et devin, apôtre de la civilisation et bienfaiteur de l'humanité. Ainsi s'explique la séduction mystérieuse qu'exerçait sur les Grecs le nom d'Orphée, symbole de progrès matériel et moral. Les origines de la légende devaient être fort anciennes, puisque dès le VIe siècle, les premiers Orphiques connus plaçaient leurs spéculations et leurs rituels sous le patronage et le nom respecté du héros thrace.
Un peu plus tard, Orphée est mentionné par Eschyle, par Phérécyde, par Hellanicos ; Hérodote connaît les mystères orphiques. La légende est assez complète dès la fin du Ve siècle. Euripide montre Orphée charmant les puissances infernales, célébrant les orgies bachiques, entraînant par ses chants les pierres, les arbres et les bêtes. L'auteur du Rhésos le met en rapport avec les Muses, et lui attribue l'institution des mystères. Aristophane le considère comme un des plus anciens poètes et comme l'inventeur des initiations religieuses. Enfin, Platon parle souvent du rôle d'Orphée comme musicien et poète, comme fondateur de cultes et apôtre de la civilisation ; il raconte son expédition aux enfers. Désormais, la légende est fixée dans ses traits essentiels ; elle sera seulement complétée sur quelques points, surtout par des étails romanesques.Pour les poètes comme pour la foule, même pour la plupart des philosophes et des historiens, Orphée était un personnage réel, antérieur à la guerre de Troie, un des héros de l'expédition des Argonautes, auteur de la Théogonie et des autres ouvrages dits orphiques. Les gens bien informés prétendaient même distinguer deux Orphées, ou quatre, jusqu'à six ou sept. Cependant, Hérodote déclarait qu'à son avis aucun poète n'était anterieur à Homère et à Hésiode. Plus tard, on attribuait à Onomacrite, à Cercops ou à d'autres, la plupart des livres orphiques. Il semble même qu'Aristote ait contesté l'existence d'Orphée. Pas plus que les anciens, la critique moderne n'a pu déterminer avec précision si la légende cache un fond de réalité historique.D'après la tradition la plus répandue, Orphée était originaire de Thrace et descendait d'Apollon ; il était fils d'Oeagros, roi de Thrace, et de la muse Calliope. On le considérait généralement comme un roi des Cicones.
D'autres prétendaient qu'il était né à Pieria, près de l'Olympe. On le mettait en relations avec quelques-uns des vieux aèdes de la Thrace. Il était le frère de Linos. On faisait de Musée soit son maître, soit son disciple, ou son fils, ou son petit-fils. Musée est mentionné assez fréquemment dans les ouvrages orphiques ; il figure dans les Argonautiques ; c'est à lui qu'est adressé le soi-disant Testament d'Orphée, et qu'est dédiée la collection des Hymnes. On attribuait à Orphée de nombreux voyages. On le conduisait jusqu'en Egypte, d'où il aurait rapporté l'institution des mystères et la doctrine de l'autre vie. Les chrétiens prétendirent même qu'il avait connu en Egypte les livres de Moïse, et qu'il leur avait emprunté le meilleur de son enseignement. Mais un seul des voyages d'Orphée devint populaire : son expédition en Colchide avec les Argonautes. Jason, sur le conseil de Chiron, avait emmené le musicien thrace pour désarmer les Sirènes, apaiser les querelles, et donner la mesure aux rameurs. D'après Phérécyde, il est vrai, ce n'était pas Orphée, mais Philammon, qui avait joué ce rôle sur le navire Argo. Cette protestation n'eut pas d'écho. Orphée resta l'un des héros des Argonautiques ; sur ce point, les poètes étaient d'accord avec la tradition des Orphiques, comme le prouvent les Argonautica écrites au IVe siècle de notre ère et mises sous le nom du fondateur mythique de la doctrine. On attribuait même à Orphée une prétendue dédicace du navire Argo, composée, disait-on, après le retour des Argonautes, quand Jason consacra son vaisseau à Poseidon.Une autre légende, immortalisée par Virgile, menait Orphée jusqu'aux enfers. Le héros s'était épris de la nymphe Eurydice. Il la séduisit par les sons de sa cithare, et il l'épousa. Un jour, poursuivie par le berger Aristée, Eurydice fuyait à travers les prairies, quand elle fut piquée par un serpent. Elle mourut de sa blessure.
Orphée en fut inconsolable. Il descendit aux enfers pour y réclamer sa femme et réussit à gagner par ses chants Pluton et Perséphone. Il obtint qu'on lui rendrait Eurydice ; mais les dieux infernaux y mirent pour condition qu'il marcherait devant elle et ne se retournerait pas avant d'arriver sur la terre. Orphée manqua à sa promesse, et, de nouveau, perdit Eurydice. Cette légende n'apparaît tout à fait complète qu'au temps de Virgile. Cependant Euripide savait déjà qu'Orphée avait charmé les puissances infernales. Platon avait raconté son voyage aux enfers, mais selon lui les dieux ne lui avaient laissé voir qu'un fantôme d'Eurydice.Sur la mort d'Orphée, les traditions variaient beaucoup. D'après la légende la plus populaire, le héros était devenu misogyne après la perte d'Eurydice. Il repoussa l'amour des femmes de Thrace, détourna du mariage les autres hommes, et refusa de chanter dans les fêtes. Il fut mis en pièces par les Ménades, au bord de l'Hèbre. Ses membres épars furent réunis et enterrés par les Muses. Sa tête et sa lyre, jetées dans le fleuve, furent entraînées par les flots sur la côte de Lesbos. Là, sa tête fut ensevelie par les habitants ; sa lyre, emportée au ciel par les Muses, y devint une constellation. Suivant une autre tradition, Orphée fut déchiré par les Ménades, parce qu'il avait abandonné le culte de Dionysos pour le culte d'Apollon ; et l'on comparait sa mort à celle de Dionysos Zagreus, déchiré par les Titans. On racontait encore qu'Orphée s'était tué lui-même après sa malheureuse expédition aux enfers, ou qu'il avait été foudroyé par Zeus pour avoir révélé aux hommes les mystères. L'exégèse moderne a cherché de différentes façons à expliquer les causes et les diverses péripéties de ce drame.
Mêmes divergences sur le lieu de la sépulture. On admettait généralement que la tête avait été ensevelie sur la côte de Lesbos, près d'Antissa ; mais on ne s'entendait point sur le lieu où reposaient les débris du corps. On racontait qu'ils avaient été transportés par les Muses à Leibethra, au pied de l'Olympe, où les rossignols chantaient, sur le tombeau ; on visitait une autre sépulture d'Orphée à Dion, près de Pydna, et nous possédons le texte de l'épitaphe qu'on y lisait. Un oracle de Dionysos avertit les habitants de Leibethra que leur ville serait détruite le jour où l'on aurait découvert les ossements d'Orphée. On ne saurait guère concilier ces traditions contradictoires.A en croire Cicéron, Orphée n'aurait jamais été l'objet d'un culte. Cependant, le héros avait un sanctuaire à Pieria. I1 avait rendu des oracles dans l'île de Lesbos, à l'endroit où avait été ensevelie sa tête. Ces oracles avaient même eu tant de succès, qu'Apollon s'inquiéta de la concurrence et réduisit Orphée au silence en prophétisant à sa place. Plus tard, Alexandre Sévère plaça dans son lararium une image d'Orphée, à laquelle il rendait un culte. Enfin, saint Augustin nous dit qu'Orphée, sans être considéré comme un véritable dieu, était cependant préposé aux mystères infernaux. Ce témoignage d'Augustin correspond sans doute à la réalité des faits.
Orphée a pu recevoir en divers endroits les honneurs divins ; mais il est resté un héros, même pour les Orphiques, qui vénéraient en lui, non un dieu, mais le révélateur de la vraie religion.L'orphisme tendait d'instinct au monothéisme ; c'est probablement pour cette raison que le culte de son fondateur mythique s'est si peu développé. En revanche, la légende d'Orphée s'est répandue d'assez bonne heure, du VIe au IVe siècle, dans toutes les parties du monde grec. On la retrouve, sous diverses formes, en Macédoine et en Thrace, sur les côtes d'Asie Mineure, dans 1es îles de la mer Egée, à Delphes, en Béotie, à Eleusis et à Athènes, à Egine, à Sicyone, en Laconie, en Epire, à Cyrène et en Egypte, en Italie et en Sicile. Il est probable que cette extension géographique de la légende correspond à celle de l'orphisme, et ce réseau de traditions locales au réseau des confréries orphiques. En tout cas, l'on vénérait partout la mémoire d'Orphée ; on voyait en lui, non seulement l'un des plus anciens aèdes, mais encore un grand inventeur, le fondateur des mystères et de nombreux cultes ; on lui attribuait l'un des premiers rôles dans l'histoire de la civilisation.Depuis le VIe siècle, Orphée fut considéré comme l'un des principaux musiciens et poètes des temps primitifs. On le mettait à côté d'Homère, d'Hésiode, de Musée, de Linos ; on faisait même de lui un ancêtre d'Hésiode et d'Homère. Inspiré par Apollon ou par les Muses, il avait créé le mètre héroïque ; il avait inventé ou perfectionné la lyre ou la cithare, ou encore il l'avait reçue d'Apollon ou d'Hermès. On lui donnait pour fils Rythmonios, personnification du rythme. Par ses chants et par les accords de sa lyre, il avait exercé un pouvoir miraculeux sur les hommes, même sur la nature : il avait su charmer les arbres, attirer les pierres, arrêter le cours des fleuves, adoucir les bêtes sauvages.On honorait aussi dans Orphée l'un des pionniers de la civilisation. Il avait interdit le meurtre et appris aux hommes à préparer leur nourriture. I1 leur avait enseigné l'agriculture, les vertus des plantes et l'art de la médecine, l'écriture, la philosophie.
On le considérait parfois comme l'initiateur de l'amour grec.C'est surtout dans les légendes relatives aux religions grecques, qu'Orphée occupait une place prépondérante. Diverses traditions le mettaient en rapports direct avec bien des divinités, avec Apollon, Hélios et les Muses, avec Dionysos et les Satyres, avec Artémis, Hécate, Hadès et Perséphone. Orphée avait été un très habile devin, un maître en extispicine ; il avait inventé l'ooscopie ou divination par les oeufs, dont il avait donné les règles dans un poème intitulé Oothytica ou Ooscopica. Il passait même pour avoir créé ou perfectionné la magie. Il avait fondé ou popularisé plusieurs cultes importants, le culte d'Apollon, surtout le culte mystique de Dionysos. Il avait institué les orgies bachiques, les cérémonies orphiques, les Eleusinies, même tous les mystères. Il avait fixé le rituel des initiations et des purifications. Il avait exercé autant d'influence sur la religion que sur la poésie et la musique. Le vieil aède, le compagnon des Argonautes, était devenu peu à peu une sorte de prophète, d'une intelligence et d'une puissance surhumaines, instrument et révélateur de la divinité, à la fois prêtre et magicien, poète et théologien, philosophe et devin, apôtre de la civilisation et bienfaiteur de l'humanité. Ainsi s'explique la séduction mystérieuse qu'exerçait sur les Grecs le nom d'Orphée, symbole de progrès matériel et moral. Les origines de la légende devaient être fort anciennes, puisque dès le VIe siècle, les premiers Orphiques connus plaçaient leurs spéculations et leurs rituels sous le patronage et le nom respecté du héros thrace.
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