12 avril 2006

C'est de ta peur que j'ai peur...

Nur kurz soll das Gluck des jungen Paares dauern, Suzanne Clairac, 1910.




Orphée dans l'art païen

La légende d'Orphée, chère aux poètes, a été aussi l'une des plus familières à l'art grec, surtout à l'art industriel. Les auteurs anciens mentionnent des peintures et des groupes de sculpure où figurait le héros. Parmi les peintures, deux sont célèbres : la fresque de Polygnote dans la Lesché de Delphes, et le tableau décrit par Philostrate, où l'on voyait Orphée sur le navire Argo, apaisant la mer par ses chants. Parmi les statues, nous rappellerons d'abord celles dont parle Pausanias : sur l'Hélicon, un Orphée assisté de Téletê, déesse des mystères, et entouré d'animaux ; à Therae, en Laconie, dans le temple de Demeter, un xoanon d'Orphée ; à Olympie, un groupe d'Orphée, de Zeus et de Dionysos. D'autres monuments sont connus par divers témoignages. En Béotie, dans un bois des Muses voisin de l'Olmeios, on apercevait Orphée et les Muses, entourés d'animaux. Des groupes analogues se voyaient dans la région de l'Haemos, et à Pieria, au pied de l'Olympe. A Rome, au Lacus Orphei, se dressait un groupe d'Orphée charmant les animaux.

Toutes ces oeuvres sont perdues. Nous ne connaissons même aucune statue antique qui représente sûrement Orphée. En revanche, nous possédons beaucoup d'autres monuments où figure certainement le héros : quelques fresques, plusieurs bas-reliefs, des plaques ou des ustensiles de bronze, de nombreux vases peints, des lampes, des pierres gravées, des monnaies, et un grand nombre de mosaïques, trouvées dans toutes les régions de l'Occident. Nous n'essaierons point de passer en revue tous ces monuments. Nous nous contenterons de caractériser brièvement le type figuré du héros, et d'indiquer les principales scènes où il joue un rôle.Orphée parait avoir été inconnu de l'art archaïque ; les plus anciens vases où il se montre datent de la première moitié du Ve siècle. Primitivement, l'on prêtait au héros le type et le costume grecs ; c'est encore ainsi que Polygnote l'avait représenté dans la Lesché de Delphes. Vers la fin du Ve siècle, on commença à lui donner le costume thrace : le bonnet pointu en peau de renard (alopekis) d'où sortait une longue chevelure ; les grandes bottes thraces en peau de faon (pedila nebrôn) ;le long chiton brodé, et le manteau thrace (zeira). Sur les beaux bas-reliefs qui représentent Orphée avec Eurydice et Hermès, et dont l'original remonte à la seconde moitié du Ve siècle, le héros porte un costume mixte : coiffure et bottines thraces, chiton et manteau grecs. Sur les vases peints d'Italie qui reproduisent des scènes infernales, les artistes ont attribué à Orphée une physionomie orientale : bonnet phrygien, manteau très léger flottant sur les épaules et fixé devant par une agrafe, chiton brodé très long, à manches, tombant jusqu'aux pieds, une véritable robe, comme en portaient les prêtres. C'est avec une robe de ce genre que Virgile se représentait Orphée. Cependant, l'art alexandrin et gréco-romain s'est montré, sur ce point, très éclectique : Orphée y figure ordinairement avec le costume thrace, souvent avec le costume grec ou un costume mixte, parfois même, entièrement nu. Voici les principales scènes où paraît le héros :


1° Orphée chez les Thraces - Tel est peut-être le sujet représenté sur une fresque de Chiusi ; cependant, l'identification reste incertaine. En tout cas, la scène se reconnaît sur plusieurs vases peints. Le plus beau est une amphore attique, trouvée à Géla : on y voit Orphée jouant de la lyre, assis sur un rocher, regardant le ciel, et entouré de quatre guerriers thraces, en costume national, qui l'écoutent avec surprise.

2° Orphée et les Muses - C'est le sujet d'une fresque de Pompéi, qui décorait le fond d'un péristyle. Orphée jouant de la cithare, et Héraklès Musagète, s'y mêlent au choeur des Muses. Les noms des personnages sont inscrits près de chacun d'eux ; parmi les Muses figurent Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore.

3° Orphée avec des Satyres ou des Nymphes - Un bas-relief montre Orphée entouré de Satyres. Une hydrie attique, découverte à Nola, représente Orphée citharède assis sur un rocher ; devant lui, un guerrier thrace et une femme ; derrière, un Satyre, et une autre femme qui s'approche. Sur d'autres vases, Orphée chante au milieu des Nymphes.

4° Orphée charmant les animaux - C'est de beaucoup la plus populaire de toutes les scènes où figure le héros. Elle est reproduite par des centaines de monuments, qui datent presque tous de l'époque hellénistique ou gréco-romaine : des fresques, des bas-reliefs et des sarcophages, des patères à libation, des miroirs, des plaques de bronze, des lampes, des pierres gravées, des monnaies de Thrace ou d'Alexandrie, surtout des mosaïques. La scène présente toujours les mêmes traits essentiels : au milieu ou à la partie supérieure du tableau, Orphée assis sur un rocher et jouant de la lyre ; autour de lui, les bêtes. Les artistes se sont souvent ingéniés à varier les poses des auditeurs, et à introduire au milieu d'eux des animaux exotiques. Parmi les monuments les plus caractéristiques, nous citerons une fresque de Pompéi, une fresque de la Villa d'Hadrien, la mosaïque de Blanzy, la mosaïque trouvée à Uthina dans les Thermes des Laberii, enfin la curieuse caricature d'Hadrumète, où l'on voit Orphée, sous la figure d'un singe, charmant les animaux aux sons de sa lyre.

5° Orphée Argonaute - Un tableau, que décrit Philostrate, représentait Orphée sur le navire Argo, calmant la mer par ses chants. La même scène, simplifiée naturellement, est reproduite sur une métope du VIe siècle qu'on a récemment découverte à Delphes, et qui provient d'un des trésors ; le héros y est appelé Orphas.

6° Orphée dans le monde infernal - Polygnote, dans la célèbre fresque qu'il exécuta pour la Lesché de Delphes et où il peignit la Nekyia homérique, avait montré Orphée dans le bois de Perséphone, sur un tertre, vêtu d'un costume grec et jouant de la cithare. A l'imitation de Polygnote, bien des artistes anciens ont conduit Orphée dans le monde infernal. Sur plusieurs bas-reliefs funéraires, on voit Orphée dans l'Hadès. Une série de vases, découverts dans l'Italie méridionale, représente le héros dans le palais de Pluton, jouant de la cithare, ou se tenant recueilli près du trône de Perséphone. Ces vases ont donné lieu à bien des discussions. Divers savants ont proposé des interprétations mystiques ; ils ont vu dans ces peintures le souvenir de scènes orphiques et ont prétendu qu'Orphée y jouait le rôle de mystagogue, d'intercesseur en faveur des initiés. On admet généralement aujourd'hui que les scènes figurées sur les vases italiotes sont purement décoratives et relèvent simplement des traditions mythologiques.

7° Orphée et Eurydice - Les scènes de ce groupe ont un rapport étroit avec les précédentes ; elles en diffèrent surtout par la présence d'Eurydice. Elles ont également un caractère infernal ou funéraire. Sur quelques-uns des vases italiotes dont nous venons de parler, Eurydice est auprès d'Orphée. Sur une fresque, trouvée dans un tombeau d'Ostie, Orphée se dirige vers la porte de l'Enfer, que gardent Cerbère et le Janitor Orci ; il tourne la tête vers Eurydice ; à l'arrière-plan, vers la droite, on aperçoit Hadès sur son trône. La composition est plus simple et plus harmonieuse dans le beau bas-relief attique qui représente les adieux d'Orphée et d'Eurydice, et dont il existe trois répliques, au Musée de Naples, à la Villa Albani, au Louvre : Orphée se retourne tristement vers Eurydice, qui pose la main sur son épaule gauche ; à gauche, Hermès tient le poignet d'Eurydice, qu'il s'apprête à ramener aux Enfers. Des scènes analogues retrouvent sur un vase de bronze et sur des monnaies.

8° Mort d'Orphée - La mort d'Orphée n'est guère représentée que sur des vases peints. Les artistes paraissent avoir tous adopté la tradition la plus répandue, suivant laquelle le héros fut tué par les Ménades. Mais ils se sont attachés à varier les détails de la scène. Sur une coupe à fond blanc du Ve siècle, Orphée renversé élève sa lyre d'une main pour parer le coup que va lui porter une Ménade armée d'une hache ; sur une amphore de Vulci de composition analogue, le héros est assailli plusieurs femmes. Sur un vase de Nola, le héros renversé lève aussi sa lyre en l'air ; une Ménade le transperce de son thyrse ; deux autres se préparent à le lapider. Un vase de Chiusi montre la même scène, avec quelques modifications : Orphée est de même renversé à demi ; à gauche, deux femmes lancent sur lui de grosses pierres ; à droite, une Amazone le menace de sa lance.
9° Orphée rendant des oracles. - Cette scène n'a été signalée jusqu'ici que sur un vase attique de la fin du Ve siècle. L'artiste s'est inspiré des traditions suivant lesquelles la tête d'Orphée avait été ensevelie sur la côte de Lesbos et y prophétisait. Au milieu, surgit du sol la tête du héros ; un jeune homme assis note sur un diptyque l'oracle rendu ; à droite, Apollon étend un bras protecteur au-dessus de la tête inspirée.