Liars share with those they deceive the desire not to be deceived.
La transcendance
Désigne tout principe extérieur au monde et supérieur à celui-ci. Ses visages et ses noms sont multiples : une divinité, une cause philosophique (le patriotisme, la lutte contre le fanatisme...), une passion érigée en absolu. Selon certains théoriciens, l'existence d'une transcendance contre laquelle s'élèvent les désirs humains est indispensable à la naissance du tragique.
Voilà ce qu'est l'écriture : un effort pour transcender l'individualité et la misère humaine.
L'idée de transcendance est celle d'un certain type de rapport entre des êtres ou des choses, dans la mesure où un être ne peut être dit transcendant que par rapport à un autre. On ne peut pas, semble-t-il, être transcendant "tout court", dans l'absolu, sans comparaison avec autre chose. Mais alors cette idée se présente d'emblée comme déroutante, puisqu'elle signifie justement, en un sens, l'absence de rapport : il y a transcendance d'une chose par rapport à une autre lorsqu'il y a, entre elles deux, une complète discontinuité, une séparation radicale, pour ainsi dire un abîme : l'une est au-delà de l'autre. Quelques rapides exemples permettront d'illustrer cette idée. Parler d'une vérité transcendante, c'est évoquer une vérité qui serait ce qu'elle est en elle-même, qui ne dépendrait pas de la multiplicité des hommes et de leurs points de vue. De même, parler de la transcendance de la conscience par rapport au monde, comme le font certains philosophes, c'est dire que la conscience est irréductible au monde, est en complète discontinuité avec lui (ce qui lui permet précisément de voir le monde comme monde) ; cet exemple invite, au passage, à ne pas envisager la transcendance de façon seulement statique ; la transcendance de la conscience par rapport au monde est à concevoir comme une activité plutôt que comme un état : effort toujours renouvelé de dégagement, de prise de distance, qui suppose sans doute une transcendance de principe, déjà là en puissance, mais qui la met effectivement en œuvre. Evoquer enfin une transcendance d'autrui par rapport à moi (et nous considérerons ici, en première approche, que "autrui" peut désigner aussi bien l'autre homme que Dieu), c'est proposer l'idée que chaque être d'esprit est un être à part entière, absolument, et non pas l'aspect ou le prolongement d'autre chose que lui-même : ce qui fait qu'existe fondamentalement entre eux un vide, une absence de lien.
La transcendance serait donc, en quelque sorte, le rapport qu'il y a entre les êtres ou les choses qui n'ont pas de rapport, en ce sens qu'il n'y a aucune continuité entre eux. Elle ne pourrait prendre place qu'entre des êtres dont l'un, au moins, aurait tout son être en lui-même, et serait en quelque sorte un absolu : ce qui n'est pas le cas de tous. Certains êtres semblent au contraire être fondamentalement immanents, en ce sens qu'il n'y a rien en eux qui les mette à distance du reste : ils ne sont que des éléments, des aspects, et pour ainsi dire des excroissances d'un tout plus vaste, au sein duquel n'existent que des différences de degré, où tout est en continuité avec tout, où tout est commensurable aussi ; ils se résolvent par conséquent en un ensemble de relations, et ne peuvent qu'à peine être appelés des êtres : c'est le cas des choses (dirons-nous : de tout ce qui est matériel ?), peut-être des animaux.
Mais outre l'idée de séparation, la transcendance paraît impliquer celle de hiérarchie, de surplomb : ce qui transcende, n'est-ce pas ce qui est "au-dessus" ? Il y aurait alors une dissymétrie entre ses termes, qui se confirmerait par le caractère unilatéral, non réciproque, de la transcendance : par exemple, si l'on peut soutenir que la vérité transcende nos particularités individuelles ou collectives, on ne peut dire que réciproquement nos particularités transcendent la vérité, bien qu'elles en soient radicalement distinctes. Ce qui transcende serait alors à entendre non seulement comme ce qui est délié et se tient au-delà, mais aussi comme ce qui l'emporte en perfection, ce devant quoi il faudrait s'incliner, ou ce vers quoi il s'agirait de tendre. Cela est-il incompatible avec l'idée d'une transcendance des hommes les uns à l'égard des autres ? Afin de tenter de réfléchir, entre autres, sur ce point, en prenant ensemble les deux aspects de la transcendance (séparation et hauteur), proposons pour finir quelques interrogations, que conduit naturellement à soulever l'exercice même du dialogue.
Si la transcendance est séparation, discontinuité radicale, cela signifie-t-il qu'elle rende impossible toute relation ? Il peut sembler que oui, et que toute relation ne puisse prendre place que dans l'immanence (où, par définition, tout est relié à tout). Demandons-nous pourtant si, au contraire, les relations les plus profondes ne supposent pas des êtres qui soient radicalement distincts, qui soient l'un pour l'autre un autre être, et donc, en ce sens, transcendants. Quelle rencontre, en particulier quel dialogue pourrait-il y avoir entre des êtres qui ne seraient pas des sujets autonomes ? Et de façon générale, comment la liberté des personnes et de leurs relations serait-elle possible sans transcendance ? Peut-être cette dernière, loin d'exclure la relation, en est-elle la condition la plus essentielle.
Il est d'ailleurs une autre raison d'envisager cette possibilité : que serait un dialogue, en effet, s'il ne se déroulait à la lumière et en vue d'une vérité dont nous reconnaîtrions la préséance sur nos opinions, nos habitudes, nos intérêts, et qui ainsi nous transcenderait ? La transcendance du vrai pourrait bien, elle aussi, être condition du dialogue. Davantage peut-être : sa transcendance ne consisterait pas à s'imposer et à dominer, comme on le croit souvent, mais à s'offrir comme ce qui permet aux hommes tout à la fois de s'élever et de se rencontrer, dans le même mouvement
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