28 mars 2006

Acedia is not in every dictionary; just in every heart...


Death in the Sickroom, Munch Edvard, 1895.




L'ennui ou dégoût spirituel, qui prive l'âme de la joie de Dieu peut être soit une épreuve, habituellement passagère, soit une maladie spirituelle extrêmement dangereuse. Comme ces deux sortes d'ennui produisent les mêmes effets négatifs dans l'âme, les remèdes à l'un et à l'autre seront substantiellement les mêmes.

A) Comme épreuve, le dégoût des choses spirituelles correspond à ce que les maîtres spirituels appellent la désolation. Lorsqu'il définit la désolation, saint Ignace de Loyola décrit en fait ce qu'est l'épreuve de l'ennui ou acédie dans une âme qui tend à progresser dans l'union avec Dieu. L'âme désolée n'éprouve plus la consolation de Dieu, qui l'enflammait dans l'amour de son Créateur : elle ne sent plus l'allégresse intérieure qui l'appelait et l'attirait aux choses célestes et à son bien propre et qui la remplissait de paix. Au contraire, elle est envahie de ténèbres et de trouble intérieur. Elle se sent attirée vers ce qui est bas et terrestre, inquiète devant les diverses agitations et tentations. Elle est poussée à perdre confiance, à être sans espérance, sans amour. Elle se trouve alors toute paresseuse, tiède, triste et comme séparée de son Créateur et Seigneur. (E.S. nn. 316-317).

"L'épreuve du dégoût des exercices spirituels n'est pas une épreuve légère, affirme saint Augustin; si elle t'afflige, reconnais ta misère et crie vers le Seigneur pour qu'il t'en libère. Et lorsque tu en auras été délivré, chante vite ses miséricordes". Sur l'éventualité et même la nécessité de cette épreuve purificatrice, saint Bernard enseigne à ses disciples : "Sans doute, dans le commencement (de votre combat spirituel contre les affections charnelles) votre coeur sera rempli de tristesse ; mais cette tristesse fera bientôt place à la joie. En effet, vos affections seront purifiées, votre volonté sera renouvelée, ou plutôt il en sera créé une nouvelle en vous, en sorte que tout ce qui vous avait paru difficile, impossible même, vous paraîtra plein de douceur et vous l'embrasserez avec une sorte d'avidité". Ces paroles font écho à celles mêmes que Jésus donnait à ses apôtres après la dernière Cène, une heure avant d'entrer dans son affreuse agonie : "En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et que vous vous lamenterez et le monde se réjouira. Vous serez, vous, attristés, mais votre tristesse se changera en joie" (Jean 16, 20).

Saint Augustin rappelle que dans son agonie, Notre-Seigneur Jésus a été accablé par la tristesse et l'abattement, disant: "Mon âme est triste à en mourir". Et cloué sur la croix, il soupirait: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"

"Bien que cet abattement, même grave, puisse être ressenti sans aucune faute, remarque-t-il, qu'il y ait toujours en toi la volonté d'agir ou de souffrir conformément à la volonté de Dieu, comme elle était en Jésus. Si tu reçois de la main de Dieu la peine de cette désolation, bientôt tu seras réconforté avec Jésus-Christ par la consolation d'un ange, mieux par celle de Dieu même".

B) Lorsque le dégoût spirituel est un état permanent de l'âme, soit en raison de la négligence à prendre les moyens pour la surmonter, soit en raison de la tiédeur dans laquelle elle s'est laissée tomber, et qui devient une véritable torpeur spirituelle qui la replie sur elle-même, la séparant de plus en plus de Dieu, on se trouve devant une maladie spirituelle extrêmement dangereuse. Car cette maladie engendre, dans l'âme, selon saint Grégoire le Grand, la malice, la rancoeur, la pusillanimité, le désespoir et la recherche des plaisirs illicites. Dans son dégoût de la piété et du culte divin, l'âme en arrive à se détourner de toute pratique religeuse et à n'avoir plus de désir que pour les choses du monde. Elle estime non seulement ne pas avoir besoin de la religion, mais ne comprenant plus rien à la sagesse et à la bonté de Dieu qui fait tourner tous les maux au bien de ceux qui l'aiment, elle devient, comme dit saint Jean Climaque, "une calomniatrice de Dieu qu'elle trouve sans coeur et sans bonté".

La dépression spirituelle ou acédie, comme forme de tristesse et d'ennui en face de tout ce qui est du domaine religieux, agit à la façon d'un cancer qui mine d'abord la vertu d'espérance et par conséquent enlève à l'âme son courage, sa force, son énergie, la jettant dans le découragement ou l'indifférence religieuse. Cette maladie spirituelle, ennemie de la persévérance, explique sans doute un grand nombre de défaillances dans la foi. Étant socialement contagieuse, en raison de la mentalité mondaine dans laquelle elle s'enracine, elle est en très grande part responsable du désintéressement collectif de la religion, qui s'exprime aujourd'hui par la diminution très sensible de la pratique religieuse.
C'est donc une maladie spirituelle actuelle, bien qu'elle soit presqu'inconnue sous son ancienne appellation. Qu'on lui donne aujourd'hui des noms qui correspondent à ses effets, comme la morosité, l'ennui ou le dégoût de la religion, l'oubli de Dieu, elle n'en reste pas moins très dommageable à la santé des âmes.