28 mars 2006

Acedia, ou l'autre mélancholie...


Tre Filosofi, Giorgione de Castelfranco, 1509.





Il y a bien des formes d'ennui. Il y a l'ennui ressenti comme une mélancolie vague, passagère, sans cause apparente et caractérisée par le dégoût de toute chose. Ce sentiment d'ennui qui s'empare soudainement de l'âme et la plonge brusquement dans une tristesse accablante a été souvent décrit par les poètes romantiques comme Châteaubriand, Alfred de Vigny, et surtout par Baudelaire dans "Les fleurs du mal".
En fait, une telle langueur morale ne peut être sans cause, mais elle n'est pas une maladie de l'âme dans la mesure où elle n'est que passagère. Il y a aussi l'ennui de personnes aimées dont l'absence nous fait souffrir. Le deuil d'êtres chers engendre cet ennui : on s'ennuie de nos parents, d'un époux, d'une épouse, d'amis intimes dont le souvenir hante notre mémoire. Cet ennui, qui est la tristesse d'un amour privé de son objet n'est pas, de soi, une maladie de l'âme. Si l'on considère le travail, les occupations, les activités culturelles, il s'y trouve de l'ennui, dans la mesure où il y a perte de goût ou d'intérêt. Parce que nous ne sommes pas faits pour rien faire, l'oisiveté est par-dessus tout une source d'ennui. C'est ainsi que beaucoup de personnes âgées, vivant repliées sur elles-mêmes, soit par incapacité de se livrer à des activités valorisantes, soit par ce qu'elles ne savent que faire, n'ayant plus de but ou d'intérêt particulier, s'enlisent dans l'ennui. À plus forte raison, les personnes plus jeunes qui voudraient travailler mais ne peuvent trouver de travail seront éprouvées par l'ennui. Toutes ces formes d'ennui ne sont pas, de soi, des maladies de l'âme; cependant elles peuvent conduire à la maladie spirituelle de l'ennui, si l'âme en prend occasion pour s'éloigner de Dieu.

L'ennui, maladie de l'âme, se rattachant au mal général de la tristesse, est en effet une sorte de dépression d'ordre spirituel, s'exprimant par le dégoût, l'abattement, le découragement, qui enlève à l'âme qui en souffre son élan, son enthousiasme et même son intérêt pour les choses spirituelles, c'est-à-dire pour les actes de la vertu de religion : la prière, la pénitence, la lecture spirituelle, l'étude des vérités religieuses, le culte divin en général. Les Anciens appelaient cette dépression spirituelle "acédie".

La personne déprimée spirituellement peut ne l'être en aucune manière aux plans physique et psychique. Car elle cherche ordinairement à compenser le vide spirituel qu'elle éprouve par de multiples occupations et distractions. Le travail, manuel ou autre avec, selon les personnes, un intérêt croissant pour les arts, les sciences, les loisirs, en viennent à canaliser toute l'attention et à réclamer toutes les énergies. Il n'y a plus de place pour Dieu. L'âme décentrée de son vrai centre, qui est Dieu, - puisqu'elle est faite à son image et ne peut trouver son repos qu'en Lui - ne peut en ressentir qu'un profond malaise, une tristesse, une morosité qui lui collent à la peau et qu'elle essaie d'oublier en fuyant dans les activités extérieures qu'elle se donne.