06 mars 2006

Humorisme et la Théorie des Humeurs de Claudius Galien

Mädchen mit Perle, Johannes Vermeer, 1668.

Pour comprendre l'objet de la pratique de la saignée, il faut revenir aux théories d'Hippocrate et de Galien (129-210), complétées entre autres par Roger de Salerne et Gilbertus Anglicus, sur les humeurs.

L'humorisme ou théorie des humeurs fut l'une des bases de la médecine antique. Mise au point d'Hippocrate à Galien, elle prédomina dans l'analyse de l'équilibre du corps humain jusqu'à la définition moderne de la pathologie par Broussais, qui au début du XIXe siècle se fit le champion de la «médecine physiologique».
Pour l'humorisme, la santé (celle de l'esprit comme celle du corps) dépend du jeu équilibré des quatre humeurs du corps : le sang, la pituite ou phlegme (lymphe), la bile jaune et la bile noire (atrabile), qui, en correspondance analogique avec les quatre éléments de l'Univers (le feu, l'air, la terre et l'eau) – eux-mêmes affectés d'une qualité propre : chaud, sec, froid et humide – déterminent, selon leur prédominance, les quatre tempéraments fondamentaux : le bilieux (chaud et sec), l'atrabilaire (froid et sec), le flegmatique (froid et humide) et le sanguin (chaud et humide). Pour l'humorisme, le déséquilibre qu'entraîne la prédominance trop marquée de l'une de ces humeurs ou l'influence exclusive d'un élément est la cause non seulement des maladies physiques, mais aussi des troubles psychiques.
Voici le texte d'Hippocrate :
« Le corps de l’homme a en lui sang, pituite, bile jaune et noire ; c’est là ce qui en constitue la nature et ce qui y crée la maladie et la santé. Il y a essentiellement santé quand ces principes sont dans un juste rapport de de force et de quantité, et que le mélange en est parfait ; il y a maladie quand un de ces principes est soit en défaut soit en excès, ou, s’isolant dans le corps, n’est pas combiné avec tout le reste.Nécessairement, en effet, quand un de ces principes s’isole et cesse de se subordonner, non seulement le lieu qu’il a quitté s’affecte, mais celui où il s’épanche s’engorge et cause douleur et travail. Si quelque humeur flue hors du corps plus que ne le veut la surabondance, cette évacuation engendre la souffrance. Si, au contraire, c’est en dedans que se font l’évacuation, la métastase, la séparation d’avec les autres humeurs, on a fort à craindre, suivant ce qui a été dit, une double souffrance, savoir au lieu quitté et au lieu engorgé » (extrait du traité De la nature de l’homme d’après les traductions d’E.Littré : Oeuvres complètes d’Hippocrate, 10 Vol.,1839-1861, Paris, Baillère). Hippocrate rattachait chacune de ces quatre humeurs à un organe, un élément, une saison, un tempérament.

Le défaut ou l'excès de ces humeurs étaient donc compris comme un déséquilibre qu'il fallait rectifier selon les cas. Par ailleurs, n'oublions pas que les premières théories sur la circulation sanguine ne datent que du XVIIe siècle. La saignée était faite par l'ouverture d'une veine ou par l'application de sangsues sur le corps pour qu'elles sucent le sang.
On saignait les malades mais aussi, de manière préventive, les moines en bonne santé, qui se saignaient ainsi en moyenne quatre fois par an ( abbayes de Cluny, Kirkstall, etc..). Il y avait souvent un bâtiment destiné à cet effet, appelé "maison des saignées".

Dans son schéma de physiologie humaine Galien reprend la théorie des humeurs d'Hippocrate qui repose sur les 4 éléments (eau, air, terre, feu) qui, combinés aux 4 qualités physiques (chaud, froid, humide, sec), influent sur lesquatre humeurs: le sang, la bile, la pituite et l'atrabile. il y ajoute les quatre tempéraments qui classent les hommes en sanguins (chaleureux et aimables), flegmatiques (lents et apathiques), mélancoliques (tristes et déprimés) et colériques (emportés et prompts à réagir).

Galien fut également admiré par ses contemporains pour les idées qu'il développe en philosophie. Dans son traité De l'utilisation des parties du corps humain, il suivit l'approche d'Aristote selon laquelle il n'y a rien dans la nature qui soit inutile. Il est vitaliste et admet qu'une force vitale appelée "pneuma" émanation de la divinité, gouverne le corps comme elle gouverne le monde.Selon Galien l'essence de la vie "pneuma" se manifeste sous trois formes principales: - Le "pneuma physique" ou esprit naturel siège dans le foie; centre de la nutrition.- Le "pneuma psychique" ou esprit animal siège dans le cerveau; il occupe le centre des sensations et de l'intelligence.- Le "pneuma zootique" ou esprit vital siège dans le coeur et les vaisseaux; qui est le centre des pulsations. A quelques réalités près, ce système que Galien voulait logique et simple, apparaît confus et surtout entaché d'erreur.
La principale contribution de Galien à la philosophie fut de mettre en forme le concept selon lequel les objectifs de Dieu sont explicables par l'observation de la nature. "Il faut connaître et révérer la sagesse, la toute puissance, l'amour infini et la bonté du créateur de l'Être." La conviction de Galien de l'existence d'un dieu unique, créateur du corps humain, incitera l'Eglise à adopter cette doctrine qui se rapprochait le plus des aspiarations de ses dignitaires et fera ainsi admettre son autorité par l'Eglise. Ainsi, pendant longtemps, s'opposer à Galien signifiera s'opposer à l'Eglise ce qui explique sans doute son influence quasi constante auprès du corps médical jusqu'au XVI ème siècle ( soit pendant 1400 ans !)
Du point de vue du développement de la médecine, l'oeuvre de Galien se résume en une tentative brillante mais sans lendemain. Il se pose lui-me^me comme le successeur et le continuateur d'Hippocrate; il commente le plus souvent avec pertinence les théories qui se sont affrontées avant lui. Malheureusempent convaincu de son infaillabilité, dépourvu de modestie dans l'énoncé de ses succès, Galien fait état de sa propre valeur avec complaisance et parfois exagération. On peut reprocher à Galien ses erreurs redoutables, son incorrigible fatuité et sa fâcheuse tendance à subordonner les résultats de ses observations à son finalisme préconçu.