29 mars 2006

Je m'ennuyais. Voilà comment ça a commencé. Elle m'ennuyait, voilà comment ça a fini


Ashes, Edvard Munch, 1894.




À l'ennui, envisagé comme épreuve de désolation spirituelle permise par Dieu, saint Ignace de Loyola assigne trois raisons principales:
"la première : parce que nous sommes tièdes, paresseux ou négligents dans nos exercices spirituels; c'est alors à cause de nos fautes, que la consolation spirituelle s'est éloignée de nous.
"la seconde : pour éprouver ce que nous valons et jusqu'où nous pouvons aller dans le service de Dieu et sa louange, sans un tel salaire de consolations et d'immenses grâces.
"la troisième : pour nous donner d'apprendre et de connaître en vérité, afin de le sentir intérieurement, qu'il ne dépend pas de nous de faire naître ou de conserver une immense dévotion, un intense amour, des larmes, ni aucune autre consolation spirituelle, mais que tout est don et grâce de Dieu notre Seigneur : et pour que nous n'allions pas faire notre nid chez autrui et nous monter l'esprit jusqu'à l'orgueil et la vaine gloire, en nous attribuant la dévotion ou les autres effets de la consolation spirituelle". (E.S. n. 322)
Saint Jean Climaque pense que l'acédie ou ennui, comme mal de l'âme, est due surtout au relâchement spirituel, à la paresse, à un esprit d'insoumission. Il affirme que "l'homme soumis ne connaît pas ce défaut, les choses sensibles étant pour lui occasion de prospérer dans le domaine spirituel", plutôt que de l'inviter à la tiédeur. L'acédie sera alors une sanction dans l'âme de son manque de générosité. "Aussi, écrit-il, une âme généreuse ranime l'esprit quand il est mort mais l'acédie et la paresse dissipent tout le trésor des vertus".
C'est aussi le sentiment de Jean Mosch, de Thalassius et de saint Jean Damascène qui furent en leur temps de grands maîtres spirituels. Dans la Vie des Pères du désert, on lit ce fait :
" Le monastère de saint Gérasime, situé près du Jourdain, avait pour supérieur du temps de Jean Mosch (+ 619), un abbé de grand mérite nommé Alexandre. Un frère vint trouver l'abbé Alexandre et lui dit : "Abbé, je veux quitter l'endroit où je vis, parce que je souffre beaucoup de l'ennui (acédie)", L'abbé Alexandre lui répondit : "Mon fils, ceci est le signe naturel que tu ne penses ni au royaume des cieux ni au châtiment éternel ; car alors, tu ne souffrirais pas de l'acédie". En d'autres termes, si tu souffres de l'acédie ou ennui spirituel, c'est que ta pensée est toute tournée vers les choses de la terre et que tu oublies tes fins dernières.
Pour Thalassius, l'acédie a comme cause principale la négligence dans l'ordre spirituel, essentiellement reliée à la recherche des plaisirs. Il en va sûrement ainsi pour l'acédie actuelle de beaucoup de chrétiens qui désertent les églises, se détournent de Dieu et de Jésus-Christ et n'ont plus de goût, dit saint Paul, que pour les choses de la terre. On trouve la même doctrine chez saint Jean Damascène dans son traité "De la foi orthodoxe".
On peut donc dire que les causes les plus générales du dégoût spirituel qui conduit aujourd'hui un grand nombre d'âmes à se détourner de Dieu et à chercher leur bonheur dans le plaisir des sens est la diminution, quand ce n'en est pas le mépris complet, des vertus de foi, d'espérance et de charité.
La civilisation matérialiste dans laquelle nous vivons tend à saper les fondements divins de la vie religieuse. Il serait aujourd'hui insensé de croire et d'espérer en un Dieu qu'on ne voit pas ; la sagesse consisterait à construire soi-même son propre bonheur sur la base des biens de ce monde. La désorientation spirituelle des âmes au profit d'un attachement de plus en plus grand aux ressources du monde présent ne peut que les entraîner à sentir de plus en plus l'amertume du vide spirituel dans lequel elles sont plongées. L'absence de Dieu, surtout si elle est la conséquence d'un rejet volontaire, débouche sur l'immense tristesse de l'ennui et du dégoût spirituel.