No hace sagrada la imagen el que la pinta y adorna, sino el que la adora (Baltasar Gracián y Morales)
Le héros contre ou avec le chœur ?
Dans la plus ancienne forme de la tragédie grecque. Une foule de personnes portant toutes le même nom et pareillemnt vétues se tient autour d'un seul homme, chacune dépendant de ses peroles et de ses gestes : c'est le chœur rangé autour de celui qui primitivement était le seul à représenter le héros. Un deuxième puis un troisième acteur ont été introduits plus tard dans la tragédie, pour servir de partenaire au héros principal ou pour représenter tel ou tel de ses traits cactéristiques.
Mais le caractère même du héros et ses rapports avec le chœur restent inchangés. Le héros de la tragédie devait souffrir ; et tel est encore aujourd'hui le principal caractère d'une tragédie. Il était chargé de ce qu'on appelle la «faute tragique», dont on ne peut pas toujours saisir les raisons ; le plus souvent, cette faute n'a rien de commun avec ce que nous considérons comme une faute dans la vie courante. Elle consistait le plus souvent en une rébellion contre une autorité divine ou humaine, et le chœur accompagnait, assistait le héros de ses sentiments sympathiques, cherchait à le retenir, à le mettre en garde, à le modérer et le plaignait, lorsque, son entreprise audacieuse réalisée, il trouvait le châtiment mérité. Mais pourquoi le héros de la tragédie doit-il souffrir et que signifie sa faute «tragique» ? Nous allons trancher la discussion par une réponse rapide.
Il doit souffrir, parce qu'il est le père primitif, le héros de la grande tragédie primitive dont nous avons parlé et qui trouve ici une représentation tendancieuse ; quant à la faute tragique, c'est celle dont il doit se charger, pour en délivrer le chœur. Les éléments qui se déroulent sur la scène représentent une déformation qu'on pourrait dire hypocrite et raffinée, d'événements véritablement historiques. Dans toute réalité ancienne, ce furent les membres du chœur qui furent la cause des souffrances du héros ; ici, au contraire, ils s'épuisent en lamentations et en manifestations de sympathie, comme si le héros lui-même était la cause de ses souffrances. Le crime qu'on lui impute, l'insolence et la révolte contre une grande autorité, est précisément ce crime qui, en réalité, pèse sur les membres du chœur, sur la bande des frères.
Et c'est ainsi encore, qu'à l'encontre de sa volonté, le héros tragique est promu rédempteur du chœur. Si, dans la tragédie grecque, , les souffrances du bouc divin Dionysos et les plaintes et lamentations du chœur de boucs aspirant à s'identifier avec lui formaient le contenu de la représentation, on comprend facilement que le drame éteint ait retrouvé un regain de vitalité au Moyen Age, en s'emparant de la passion du Christ. Une tradition incontestable veut que la tragédie grecque dans sa forme la plus ancienne n'ait eu pour unique sujet que les souffrances de Dionysos, et que pendant une longue période le seul héros présent sur la scène ait justement été Dionysos. Mais on peut affirmer avec tout autant de certitude que, jusqu'à Euripide, Dionysos n'a jamais cessé d'être le héros de la tragédie et que toutes les figures illustres de la scène antique ne sont que les masques de ce héros primitif, Dionysos.
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