07 mars 2006

Un narcissisme dont la libido tente de désinvestir le corps.

La Tour de Babel, Pieter Brueghel, 1563



Le sujet mélancolique peut accéder à d'autres modes de résolution possibles parmi lesquels se situent le renversement maniaque sur le versant pathologique et la construction esthétique sur le versant défensif de l'organisation moïque.
L'accès maniaque est un état de surexcitation de toutes les fonctions psychiques avec exaltation de l'humeur, qui est euphorique. Le premier accès peut survenir entre 20 et 50 ans. Le début est parfois progressif, plus souvent brutal. Le malade ressent une brusque transformation, se sent envahi par un sentiment d'euphorie, de bien- être, de facilité; tout est possible, tout est merveilleux. Il éprouve un besoin incessant, irrésistible d'activité et de mouvement, ne dort que quelques heures par nuit et bien souvent l'insomnie est totale.
Les propos sont de plus en plus abondants et rapides; les projets sont grandioses, les démarches tapageuses, les dépenses inconsidérées. Scandale sur la voie publique, tapage nocturne, outrage à la pudeur peuvent marquer le début de l'accès.

A la période d'état, un tableau typique est réalisé; sont alors remarquables la présentation, les troubles de l'idéation, l'exaltation de l'humeur, les trou- bles de l'activité et les manifestations somatiques.

L'aspect de malade permet dans bien des cas de faire ou en tout cas d'évoquer immédiatement le diagnostic. La tenue est extravagante ou débraillée, provocante voire indécente, chez un patient au visage animé, enjoué ou furieux qui parle sans arrêt, chante, déclame, gesticule, vide les armoires, change les meubles de place, interpelle le premier venu avec une abrupte familiarité, parfois mêlée d'une ironie percutante.
On observe une accélération de tous les processus psychiques:

a) Accélération des représentations mentales: une idée, une image, aussitôt évoquées disparaissent du champ de la conscience immédiatement remplacées par d'autres: on parle de la kaléidoscopie des contenus de la conscience.
b) Caractère rapide et superficiel de l'association des idées qui s'établit par des liens verbaux fragiles et automatiques: rimes, assonances, jeux de mots...
c) Eparpillement de l'attention spontanée, réagissant à toutes les sollicitations extérieures. L'attention volontaire est pratiquement impossible.
d) L'orientation reste habituellement correcte, mais est de peu de valeur aux yeux de ce sujet qui ne se soucie guère des coordonnées temporo-spatiales ou les plie à sa fantaisie.
e) Exaltation de la mémoire: hyperrnnésie, grand luxe de détails, alors que la fixation des souvenirs pendant l'accès est particulièrement déficitaire.
t) Exaltation de l'imagination. On peut observer des productions imaginatives pseudo-délirantes auxquelles le malade ne croit pas sérieusement. Il peut exister cependant des idées délirantes vraies (thèmes de jalousie, de persécution, de grandeur...) ; on parle alors de manie délirante.
g) Le langage parlé et écrit reflète la désorganisation de la pensée du maniaque: rapidité, prolixité, véritable flux verbal, manque de liaison entre les idées, coq-à-l'âne, jeux de mots, onomatopées.
Au total, la fuite des idées est le symptôme principal de cette excitation psychique. Il résume à lui seul tous les autres symptômes; il traduit bien la «volatilité » maniaque; il est l'expression d'une extraordinaire exaltation de l'être psychique.

L'exaltation de l'humeur:

a) Expansivité et hyperthymie caractérisent l'état affectif du maniaque. Euphorie et optimisme semblent décupler les forces de ce sujet qui se sent merveilleusement bien dans sa peau, heureux, infatigable, entreprenant, invincible, « superman »...
b) Mais l'instabilité affective est un trait spécifique de l'humeur maniaque, et avec une étonnante labilité le malade passe du rire aux larmes ou de l'humeur taquine aux imprécations; il peut même devenir violent et agressif.
c) Cette formidable« libération », ce déchaînement s'expriment aussi dans le domaine sexuel, par les propos grivois ou franchement obscènes, ou par les attitudes séductrices ou franchement entreprenantes: tout est permis, tout est possible, toutes les barrières tombent devant cette véritable mégalomanie qui s'exprime aussi dans des dépenses invraisemblables.

Le maniaque éprouve un besoin impérieux d'activité. Et de fait son activité est incessante, désordonnée; il gesticule, rie, chante, danse...
Dans cette hyperactivité psychomotrice, le trait dominant est la tonalité ludique, s'exprimant de façon saisissante dans des imitations. Les éléments du monde extérieur sont intégrés dans cette activité ludique, car le maniaque, non seulement adhère parfaitement à la réalité extérieure mais il présente une syntonie remarquable, qui peut avoir des répercussions spectaculaires sur l'ambiance et le comportement de l'entourage. Il plaisante, vous tutoie, vous interpelle, fait des farces, se déguise, fait la visite avec les médecins, qui s'enquiert de la santé des soignés et des soignants. Cette exaltation aboutit le plus souvent à des réactions tapageuses ou scandaleuses qu'à des actes dangereux médico-légaux.Un tel bouleversement de l'existence ne manque pas d'avoir des répercussions organiques.

Les manifestations organiques sot de deux ordres, les troubles du sommeil sont massifs et caractéristiques: le besoin de sommeil disparaît presque totalement sans entraîner de fatigue. En dépit de cette insomnie constante, précoce, rebelle aux hypnotiques habituels, la résistance physique du maniaque semble augmentée.
La faim et la soif sont excessives, mais l'amaigrissement est habituel; il peut atteindre 10, 15,20 kg en un mois ou deux. Toutes les sécrétions sont augmentées: sueurs abondantes, hypersalivation. La tachycardie (augmentation de la fréquence cardiaque) est fréquente.

L'évolution spontanée vers la guérison en deux à six mois est une caractéristique de cette maladie depuis longtemps observée. Pinel, a insisté sur ce trait pour appuyer sa démonstration de la curabilité de la folie. On peut voir des accès plus courts, durant quelques semaines, ou au contraire des accès plus prolongés. Sous traitement, la durée moyenne est de un à deux mois. Un accès maniaque peut survenir très peu de temps après, voire au décours d'un épisode mélancolique. Certains patients passent pratiquement sans transition d'un état maniaque à un état mélancolique (renversement brusque de l'humeur).