27 janvier 2006

La Nausée

Jean-Paul Sartre publie la Nausée en 1938. Il y décrit Antoine Roquentin, pris d'un profond dégoût pour ce qui l'entoure, pour ses activités, et qui se réfugie dans l'imaginaire.

Antoine Roquentin, célibataire d'environ trente-cinq ans, vit seul à Bouville, cité imaginaire qui rappelle le Havre. Il travaille à un ouvrage sur la vie du marquis de Rollebon, aristocrate de la fin du XVIIIe siècle, et vit de ses rentes, après avoir abandonné un emploi en Indochine, par lassitude des voyages et de ce qu'il avait cru être l'aventure. Il tient son journal, et c'est le texte de ce journal qui constitue le roman. Il constate que son rapport aux objets ordinaires a changé et il se demande en quoi. Tout lui semble désagréable. Il n'a aucune affection pour personne. Il rencontre l'Autodidacte à la bibliothèque. Roquentin sent un profond éloignement avec tout ce qui l'entoure. Il ne supporte plus la bourgeoisie de Bouville, M. de Rollebon lui semble vite bien terne et sans intérêt aussi arrête-t-il son livre. Il veut tout quitter puis se dit que seul l'imaginaire parviendra peut-être à l'arracher à la Nausée et l'écriture d'un roman l'aiderait peut être à accepter l'existence.

" La Nausée " est un objet assez rare dans le monde de la littérature française du 20ème siècle : c'est un roman philosophique, où Sartre met en œuvre son talent de romancier pour incarner les concepts philosophiques qu'il théorisera dans l'Etre et le Néant.
Pour faire simple, on peut considérer que Sartre-Roquentin met en évidence les deux notions antagonistes :

L'en-soi, qui est, la contingence, ce qui peut ne pas être et qui s'oppose au nécessaire,
Et le pour-soi, la conscience, qui en permettant à l'homme de prendre de la distance par rapport à l'en-soi, aboutit à sa néantisation. Les actes d'un homme libre sont toujours contingents.

Simone de Beauvoir qui a participé à l'écriture de ce roman qui a duré quatre ans, écrira que " La Nausée " est le roman de la contingence.

Sartre a identifié l'expérience du néant à celle de la liberté par laquelle nous refusons notre état et décidons de "ne plus être ce que nous sommes ". Le néant serait éprouvé dans l'expérience de l'angoisse où le monde devient totalement fluide, où le sujet s'anéantit dans une impression de doute et de vertige infini.

C'est dans la scène du jardin public, que Roquentin est frappé, comme par un coup de tonnerre, par l'évidence de cette contingence en examinant la racine d'un marronnier, qui se trouve devant lui, qui existe en soi et non à travers sa fonction de pompe à nourriture pour l'arbre. Cette révélation lui fournit l'explication de son malaise, de la nausée qu'il éprouve depuis qu'il séjourne à Bouville.

Le qualificatif de " salauds " que Sartre applique à ceux qui refusent cette contingence, pour se réfugier dans des humanismes de toute sorte, religieux ou moraliste, comme cet " Autodidacte " qui constitue sa culture en lisant par ordre alphabétique tous les livres de la bibliothèque, ou les habitants de Bouville qui se promènent le dimanche. Cette notion de " salaud " n'a pas le sens moral que comporte ce mot dans son acception courante, mais quand même, pourquoi utiliser un tel mot si fort et si connoté?

Sartre pourfend avec un humour féroce tous les humanismes, qui ont le tort de prendre l'homme pour fin alors qu'il n'est qu'en projet, toujours à réaliser. L'homme ne peut exister qu'en dépassement de lui-même. Le culte de l'humanité, comme chez Auguste Comte par exemple, peut conduire au fascisme. Il nie toute intériorité, l'inconscient, la réalité du moi. Cette position de Sartre lui sera vivement reprochée et il s'en expliquera dans conférence, " L'existentialisme est un humanisme " . Même si Dieu existait, cela ne changerait rien.

Pour aller plus loin " L'Imaginaire " plus difficile à appréhender qu'un roman comme "La Nausée ".