Les Grecs et l'Irrationnel
Dodds accorde une large part aux rêves. Les poèmes homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècles, constituent le point de départ de l'analyse: on y trouve de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l'homme est important, plus le message aura valeur d'oracle. Dans d'autres récits, le rêve est une vision qui nécessite une interprétation. Comme la plupart des autres peuples, les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent par la " porte de corne " et ceux qui trompent et passent par la " porte d'ivoire ".
Le rêve grec présente un caractère particulier: il est " vu " par un donneur passif, alors que nous, Occidentaux contemporains, " faisons " un rêve. Le rêve homérique est envoyé au dormeur par un autre monde, tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des héros; il est reçu comme un " présent " et est en cela recherché. Dodds montre ensuite la manière dont l'attitude des Grecs face au rêve se modifie sous l'influence principalement des Scythes venus d'Asie centrale. Leur conviction s'amplifie peu à peu - en raison de la culture chamanique que les Scythes apportent en Thrace - que l'âme est séparable du corps au moment de la mort et pendant le sommeil: ses voyages d'alors correspondent au vécu onirique. Les poèmes attribués au mythique Orphée propagent cette conviction au VIe siècle et la mêlent à celle, religieuse, de la Grèce classique. Le rêve devient un voyage de l'âme vers le royaume des morts. Ces croyances sont au moins aussi influentes dans la Grèce antique que l'attitude rationnelle à l'égard du rêve, celle d'Aristote par exemple qui fait du rêve prophétique une simple coïncidence (symbolon) et se révèle en cela presque trop " moderne " pour une civilisation qui entretient avec le monde un rapport surnaturel.
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