22 juillet 2006

Reality is merely an illusion, albeit a very persistent one.

An Experiment on a Bird in the Air Pump,
Joseph Wright of Derby, 1768.



Nietzsche accuse Socrate d'avoir précipité le déclin de la tragédie en liant le beau au raisonnable, et introduisant ainsi la métaphysique dans la tragédie : le bien et le mal l'emportent alors sur la dimention mythique, vitale.

Dans la tragédie grecque comme dans Shakespeare les actions des mortels sont environnées de forces qui transcendent l'homme. La réalité d'Oreste comporte celle des Furies ; les Sorcières attendent l'âme de Macbeth ; nous ne pouvons concevoir Œdipe sans un Sphinx ni Hamlet sans un Fantôme.

Dans l'œuvre de Beckett, Dieu meurt ainsi une seconde fois, non plus de l'orgueil de l'homme, mais de son abaissement, non plus de l'ubris de Prométhée, mais de l'espérance indéracinable des victimes attendant Godot, de l'humilité pieuse de Winnie enterrée.

15 juillet 2006

Suicide is man's way of telling God, "You can't fire me - I quit."


Le Jugement Dernier (Extrait du Polyptyque), Rogier Van Der W eyden, 1445





Si la tragédie puise ses thèmes dans les mythes, c'est au prix d'un renversement : le mythe apporte des réponses sans jamais formuler explicitement les problèmes ; la tragédie utilise les traditions mythiques pour poser des problèmes qui ne comportent pas de solution.

La fin d'Antigone nous présente la substitution de je ne sais quelle image sanglante de sacrifice que réalise le suicide mystique. assurément, à partir d'un certain moment, nous ne savons plus ce qui se passe au tombeau d'antigone. Tout nous indique que ce qui vient se passer s'accomplit dans une crise de [mania, en grec dans le texte], Antigone étant parvenue à ce niveau où périssent également Ajax et Hercule - je laisse de côté la fin d'Œdipe.

Voir dans la partie sur la mort le commentaire de cette fin d'Œdipe.«Le Grec connaissait et éprouvait les terreurs et les horreurs de l'existence ; il n'aurait pu vivre s'il n'avait interposé entre ce monde et lui cette éblouissante création de rêve, le mode olympien. Cette extraordinaire méfiance envers les forces titanesques de la nature, cette Moïra qui trône impitoyable par-delà toute connaissance, ce vautour qui ronge le grand ami des hommes, Prométhée, ce sort effroyable réservé au sage Œdipe, cette malédiction héréditaire des Atrides, qui contraint Oreste à tuer sa mère, bref, toute cette philosophie du dieu sylvestre, avec ses exemples mythiques, a bien pu causer la perte des mélancoliques Etrusques, mais les Grecs, grâce à cette création de l'art, le monde médiateur des Olympiens, l'ont constamment vaincue, à tout le moins voilée et dérobée au regard.»

Cet homme dont le regard aigu perce à jour le terrible processus destructeur de l'histoire universelle, et n'ignore rien des cruautés de la nature, et qui est en danger d'aspirer à l'anéantissement bouddhique du vouloir. L'art le sauve, et grâce à l'art c'est la vie qui le reconquiert.

Ainsi, nous pouvons dire en général, que le véritable thème de la tragédie primitive est le divin, mais non le divin tel qu'il constitue l'objet de la pensée religieuse en elle-même, mais tel qu'il apparaît dans le monde et dans l'action individuelle, sans sacrifier son caractère universel et se voir changé en son contraire. Sous cette forme, la substance divine de la volonté et de l'action, c'est l'élément moral.

11 juillet 2006

Hölle, Himmel! Wo ist der Unterschied?

Hölle, Dieric the Elder Bouts, 1450.





De l'autre

La tragédie nous répète qu' en dehors de l'homme et en lui, il y a l'autre, l'autre monde. Appelez-le comme vous voudrez : un dieu caché ou méchant, la destinée aveugle, les sollicitations de l'enfer, la fureur bestiale de notre sang - il nous guette à la croisée des chemins.

C'est là une inflexible, une terrible pénétration de la condition humaine. Pourtant, de l'excès même de ses souffrances naît le droit de l'homme à la dignité.

06 juillet 2006

So viele Menschen, so viele Meinungen...

Antigone, Lord Frederic Leigthon, 1882.



La seconde mort ou l'entre-deux


Qu'est-ce qui fait le pouvoir dissipant de cette image centrale (celle d'antigone elle-même), par rapport à toutes les autres, qui semblent tout d'un coup se rabattre sur elle, et s'évanouir ?

L'articulation de l'action tragique nous éclaire là-dessus. Cela tient à la beauté d'Antigone et à la place qu'elle occupe, dans l'entre-deux de deux champs symboliquement différenciés.

C'est sans doute de cette place qu'elle tire son éclat - cet éclat que tous ceux qui ont parlé dignement de la beauté n'ont jamais pu éliminer de leur définition. C'est cette place, vous le savez, que nous cherchons à définir. Nous avons tenté de la saisir la première fois par la voie de cette seconde mort imaginée par les héros de Sade - la mort pour autant qu'elle est appelée comme le point où s'annihile le cycle même des transformations naturelles.

Ce point, c'est celui où les métaphores fausses de l'étant se distinguent de ce qui est la position de l'être, nous en retrouverons la place, articulée comme telle, comme une limite, tout au long du texte d'Antigone, dans la bouche de tous les personnages, et de Tirésias.

Mais aussi bien comment ne pas la voir dans l'action même ? - pour autant que le milieu de la pièce est constitué par le moment de ce qui s'articule comme gémissements, commentaires, débats, appels, autour d'Antigone condamnée au supplice.

Quel supplice ? Celui d'être enfermée vivante en un tombeau. Le tiers central de la pièce est constitué par l'apophanie détaillée qui nous est donnée de ce que signifie la position, le sort d'une vie qui va se confondre avec la mort certaine, mort vécue de façon anticipée, mort empiétant sur le domaine de la vie, vie empiétant sur la mort.

02 juillet 2006

Les douleurs légères s'expriment ; les grandes douleurs sont muettes...

The Roses of Heliogabalus, Lawrence Alma-Tadema, 1888.




Résignation ( Melancholia)


Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor,
Somptuosité persane et papale,
Héliogabale et Sardanapale !

Mon désir créait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques !

Aujourd'hui, plus calme et non moins ardent,
Mais sachant la vie et qu'il faut qu'on plie,
J'ai dû refréner ma belle folie,
Sans me résigner par trop cependant.

Soit ! le grandiose échappe à ma dent,
Mais, fi de l'aimable et fi de la lie !
Et je hais toujours la femme jolie,
La rime assonante et l'ami prudent.


Paul Verlaine - Poèmes Saturniens

01 juillet 2006

La vie est un court exil...

The Day Dream, Dante Gabriel Rossetti, 1878.




La mère morte avait emporté, dans le désinvestissement dont elle avait été l'objet, l'essentiel de l'amour dont elle avait été investie avant son deuil : son regard, le ton de sa voix, son odeur, le souvenir de sa caresse. La perte du contact psychique avait entraîné le refoulement de la trace mnésique de son toucher. Elle avait été enterrée vive, mais son tombeau lui-même avait disparu. Le trou qui gisait à sa place faisait redouter la sollitude, comme si le sujet risquait d'y sombrer corps et biens.

Chez Chateaubriand, René, vit la mélancolie comme une douloureuse expérience de la lacération et de la perte. Monde vide que Dieu a déserté, qu'autrui a déserté. A couté la vie à sa mère en venant au monde. Dysharmonie avec soi-même et le cosmos. Rebut, dépossédé de soi-même ou possédé par une force mauvaise. La vie est un exil, une tragique séparation. Méditation sur des débris, pleurs sur des mortels, inanité des choses et vanité des entreprises, limites de la raisons, fragilité des travaux de l'homo faber.

Destin de vivre dans l'entre-deux entre Anciens et Modernes, entre deux siècles, entre passé et présent, entre immobilité et errance, entre petitesse et immensité, entre vie et mort, cadavre animé, âme prisonnière d'un corps pourri, enseveli.