31 janvier 2006

Krónos

Dans la mythologie grecque, Cronos (en grec ancien Κρόνος / Krónos) est le fils d'Ouranos et le père de Zeus. Il n'est pas le dieu du Temps, contrairement à une opinion répandue (la confusion vient du mot grec χρόνος / khrónos, qui signifie « temps » et qu'un de ses attributs est le sablier). C'est un vieil homme armé d'une faux et d'un sablier dans sa représentation moderne qui n'existe pas dans la mythologie classique.
Fils d'Ouranos (le Ciel) et de Gaia (la Terre). Leurs enfants les plus intelligents furent les Titans et les Titanides. Cronos (ou Kronos et Saturne chez les Romains) devint leur roi. Il épousa sa soeur Rhéa. Selon la version la plus connue, sa mère, Gaia s'était plainte auprès de lui du traitement que lui infligeait Ouranos ; il avait repoussé dans ses entrailles les Géants aux cent bras (Hécatonchires) et les Cyclopes, alors qu'elle s'apprêtait à les mettre au monde, (ou encore,il les avait emprisonnés). Elle donna alors à Cronos une faucille de silex avec laquelle il attaqua Ouranos, lorsque celui-ci vint rejoindre Gaia, et l'émascula.
Cronos lança les organes génitaux tranchés derrière lui, et les gouttes de sang donnèrent naissance aux Erinnyes, aux Géants et aux Nymphes. Ainsi Cronos régna à la place d'Ouranos ; mais rapidement, il devint aussi brutal que son père. Il emprisonna de nouveau les Géants et les Cyclopes dans la terre, et ayant été averti que l'un de ses propres enfants le détrônerait de la même façon qu'il avait, lui-même, détrôné son père, il les avalait un par un, au fur et à mesure qu'ils naissaient. Sa femme, Rhéa, une Titanide, et aussi sa soeur, donna naissance successivement à Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et Zeus. Cronos parvint à les manger tous, à l'exception de Zeus, que Rhéa avait confié à sa mère Gaia; elle lui substitua une grosse pierre enveloppée de langes, que son père dévora à sa place. Zeus fut élevé en secret par les nymphes du mont Dicté (ou Ida), en Crète, nourri du lait de la chèvre Amalthée pendant que les Curètes frappaient leurs boucliers de leur lances pour éviter que Cronos n'entendît les cris du bébé.

Zeus épousa, plus tard, l'Océanide Métis, qu'il persuada de donner à Cronos un vomitif, afin de lui faire restituer les cinq autres enfants. Une guerre s'ensuivit, au terme de laquelle Cronos fut détrôné, en faveur de Zeus, par ses enfants, et avec l'aide des Géants et des Cyclopes que Zeus avait libérés. Cronos fut jeté dans les profondeurs du Tartare, avec Japet et d'autres Titans, et les Hécatonchires furent chargés de les garder. Avant de vomir ses enfants, il avait rendu la pierre qui avait été substituée à Zeus ;cette pierre fut dressé à Delphes, pour marquer le centre du monde. Selon une tradition différente, Cronos aurait été non pas un tyran farouche, mais un souverain bienfaisant, régnant durant un Age d'Or ; après sa déposition, il partit régner sur les îles des Bienheureux, à l'ouest de l'Océan.
La version la plus ancienne de la légende de Cronos nous est rapportée par Hésiode dans la Théogonie. Cet aspect de Cronos le relie à Saturne, le Dieu Romain à qui il fut identifié. Certains associent, à tort, le nom de Cronos (en grec: Kronos), à Chronos (en grec:Cronos) qui est la personnification du Temps et, de ce fait, le décrivent comme un vieil homme armé d'une faux. Il est vrai que la confusion est d'autant plus possible que Cronos possède aussi des attributs du temps.

Aineías

Énée (en grec ancien Ανείας / Aineías), fils d'Anchise et de la déesse Aphrodite (Vénus), est l'un des héros de la guerre de Troie. Il est chanté par Homère dans l'Iliade et par Virgile dans l'Énéide, dont il est le personnage central.
Père d'Ascagne (ou Iule), il est le fondateur mythique d'un royaume à l'origine de Rome et de son empire.
L'auteur romain Virgile met à l'écrit la suite de la vie d'Énée dans l'Énéide.

Quand Troie tomba aux mains des Achéens, Énée s'enfuit avec Misenus, son père Anchise, ses amis Achate, Sergeste et Acmon, le médecin Iapyx, sa femme Créüse et son fils Ascagne, les Lares et les Pénates ainsi que Mimas.
Ils arrivèrent à Carthage dont la reine Didon tomba amoureuse d'Énée. Il partit quand même sur l'ordre d'Hermès, ce qui entraîna le suicide de la reine. Lorsque Énée descendit dans l'Hadès pour parler à Didon, son fantôme refusa de lui pardonner.
Près des côtes de Lucanie, un des hommes d'Énée, Palinurus, s'endormit et tomba à l'eau. Il nagea jusqu'à la plage, mais fut tué par les Lucaniens. Le mont Palinuro est nommé d'après ce personnage.

En Sicile, Énée fut accueilli par Aceste et recueillit un des marins de l'Odyssée d'Ulysse, Achaemenide.
Juste après son arrivée en Italie, la petite troupe fit la guerre contre la ville de Falerii.
Latinus, le roi des Latins, accueillit Énée et les siens, et leur permit de s'installer dans le Latium. Alors que sa fille Lavinia était promise à Turnus, roi de Rutulie, Latinus voulut la marier à Énée. À la demande insistante de Héra, Turnus déclara la guerre à Énée mais la perdit et Turnus fut tué et son peuple capturé. Ascagne, le fils d'Énée que l'auteur romain Virgile appellait Iule, fonda alors Albe dont il devint le roi.

Énée et Lavinia eurent un fils, Silvius. Ils accueillirent la sœur de Didon, Anna Perenna qui se suicida quand elle apprit la jalousie de Lavinia. Énée fonda enfin la ville de Lavinium et devint le dieu Indiges après son décès.
D'après le récit de Virgile, Romulus et Remus seraient les descendants d'Énée par leur mère, et fils du dieu de la guerre Mars.

La famille des Julien (gens Julia en latin) de Rome traça son origine généalogique de Iule, fils d'Énée. Le plus célèbre membre de cette famille a été Jules César (Caius Julius Caesa

Pietà

Amour total et loyauté absolue.

En italien puis en français, on confond souvent "pitié" (= compassion, miséricorde) et "piété" (= dévotion, ferveur). En histoire de l’art, le sens du mot pietà est bien défini : il désigne une statue ou un tableau représentant la Vierge tenant sur ses genoux le corps du Christ détaché de la croix.

La pitié, (des pietas latins) est le sentiment qui incite l'homme à aimer et respecter le prochain. La Pietà signifie une dévotion à Dieu plus qu’une miséricorde. Enea est surnommé le dévot non pas parce qu’il était bon et miséricordieux, mais parcequ’il est en particulier une personne dévote. On a rapproché la pitié du sentiment miséricordieux avec le christianisme la pitié divine de Dieu devient miséricorde. Actuellement c’est un sentiment dépréciatif et péjoratif. C’est une pitié et une tristesse envers un sujet. Dépourvu de toute espoir.
Le thème de la Pietà apparaît dans la peinture italienne au milieu du XIV° siècle. Il est formé de la Vierge assise, et du Christ mort couché sur ses genoux. Cette image s'est formée selon le processus d'extraction du motif principal d'une scène vaste, comme la Déploration ou la Lamentation sur le Christ décloué de la croix. Elle isole les deux personnages principaux du contexte narratif du récit de la Passion, et propose à chaque fidèle de méditer sur la douleur contenue de la mère devant le corps de son fils, et sur l'acceptation du sacrifice. Ce thème se développa d'abord dans les oeuvres de petit format, destinées à la dévotion privée. Mais au XV° siècle gagna les grands panneaux d'Autel.

Nicolas Cusanus

"La sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part"

Nicolas de Cues (en latin Cusanus) se situe par sa pensée, à la frontière entre le Moyen Age et l’époque moderne. Il est influencé par Ockham, le néoplatonisme et la mystique à propos de laquelle il utilise dans une large mesure les spéculations mathématiques.
Le monde se présente à nous comme une pluralité d’objets finis et opposés en contraires. Ceux-ci sont déterminés dans leurs qualités en vertu de leurs contradictions. Il règne ainsi dans le monde une perpétuelle métamorphose (aliud esse). L’entendement (ratio) connaît les choses en rapportant le connu à l’inconnu et forme ses concepts en se fondant sur des ressemblances. Mais comme dans le monde il n’y a que plus ou moins de ressemblances, et qu’il n’existe pas de norme absolument parfaite, tout ce qui est connu pourrait être mieux connu.
Nicolas de Cues utilise l’exemple du polygone qui, avec un nombre d’angles croissant, se rapproche du cercle sans toutefois jamais l’atteindre.
Dans notre recherche du savoir, nous aboutissons ainsi à la connaissance de notre ignorance fondamentale. L’homme est instruit de cette ignorance par sa raison (intellectus), car c’est grâce à elle qu’il peut saisir l’identité des contradictions dans l’infini.
L’homme se trouve alors dans un état de docte ignorance (douta ignorantia). Docte, parce qu’il se sait ignorant. Ignorant, parce qu’il est un être fini et n’est pas capable de saisir l’infini divin.

« Mon Dieu, d’où vient qu’en la plus haute considération de mon âme, je vous vois tout infini [...] Ainsi il s’ensuit qu’aucun n’approche votre infinie grandeur que celui qui se tient dans l’ignorance, à savoir celui qui sait qu’il ne vous connaît pas. »

L’unité du monde dans sa diversité est fondée en Dieu, l’infini, dans lequel sont dépassées toutes les contradictions des choses finies. Nicolas de Cues tente d’expliquer la coïncidence des opposés en Dieu (coincidentia oppositorum) en s’appuyant sur un exemple mathématique: Plus la circonférence d’un cercle est grande, plus l’arc de cercle se rapproche d’une droite, et à l’infini tous deux coïncident, de sorte que les oppositions sont supprimées.
En fait, Nicolas de Cues voudrait arriver à saisir toutes choses intellectualiter et non pas rationaliter, parvenir à une connaissance intellectuelle (selon le principe de la coïncidence des opposés) car, par la raison, on ne parvient qu’à une connaissance limitée (selon le principe de contradiction).
Une autre formulation utilisée par Nicolas de Cues dit que Dieu est simultanément le plus grand (maximum) et le plus petit (minimum), car puisqu’il n’existe rien en dehors de Dieu, il n’y a rien de plus grand ni rien de plus petit. Dieu est la mesure de toutes les grandeurs finies.
L’essence de Dieu ne s’ouvre pas à l’entendement qui est fondé sur le principe de non-contradiction. Dieu est uniquement saisi par la raison s’approchant de l’unité.
En Dieu, chaque être est replié (complicatio) et la multiplicité du monde correspond à l’être déployé (explicatio).

«Tout ce qui est d’une quelconque manière ou qui peut être, est à l’origine replié en (Dieu), et tout ce qui est créé ou qui va être créé, est déployé par celui en qui il était replié. »

Toutes les créatures sont :

« Dieu replié en Dieu, comme elles sont le monde lorsqu’elles sont dépliées dans la création du monde ».

La dernière phrase montre clairement que Nicolas de Cues ne défend aucun panthéisme car les choses n’ont pas la même manière d’être en Dieu et dans le monde. Dans le monde, l’infini est développé en singularités différenciées (contractio). Dieu est donc désigné comme posse est (celui en qui toute potentialité, tout pouvoir, trouve son actualisation), mcar il est tout ce qu’il peut être et il ne consiste pas en une possibilité unique, alors que dans le monde, être et possibilité se différencient de sorte que toutes les choses demeurent en deçà de leur possibilité.
Nicolas de Cues souligne l’activité créatrice de la connaissance humaine. L‘esprit humain (mens) dessine un monde neuf dans sa saisie du monde. Tout comme Dieu crée ce qui est dans sa connaissance, ainsi l’homme crée-t-il l’être conçu.

«Car comme Dieu est le créateur de l’étant effectif et des formes naturelles, de même l’homme est le créateur de l’être pensé et des formes artistiques celles-ci n’existent que dans la ressemblance avec son esprit tout comme les créatures ressemblent à l’esprit divin.»

L’esprit humain est l’image de l’esprit divin. En lui aussi sont implantés les archétypes des choses en vertu de quoi il peut penser. Mais il ne sait rien des choses de leur caractère connaissable en tant qu’être créé par Dieu, il sait seulement comment elles sont connues par l’homme. L’esprit crée un nouveau monde en tant que connaissable puisqu’il le crée à sa mesure.

Nicolas de Cues déduit le terme latin mens du mensurare (mesurer). Les formes mathématiques remplissent une fonction particulière car elles peuvent être connues telles qu’elles sont en soi, puisque c’est l’homme lui-même qui les a produites. De la même façon que le monde est une théophanie, ainsi tout ce qui est su est une manifestation de ce qui entre dans l’esprit.

Nicolas de Cues compare l’esprit à un cosmographe qui prépare une carte du monde à l’aide des données lui ayant été rapportées par des messages (perceptions des sens). A cette différence près que l’esprit dessine la carte grâce aux formes, aux mesures et aux proportions qu’il a lui-même établies. Il connaît le monde grâce à une carte dessinée par lui selon sa mesure.
Cette pensée perspectiviste renvoie à une connaissance moderne du monde.

Raymond Klibansky

“En hommage à Raymond Klibansky (1905-2005)”

M. Klibansky était un immense philosophe, mort deux mois avant d’atteindre sa centième année. Il fut pourchassé par les nazis, entra dans la résistance, transita par Londres avant de s’établir à Montréal et d’y être inhumé en août 2005. Raymond Klibansky est l’ auteur de Saturne et la Mélancolie,(écrit avec Erwin Panofsky and Fritz Saxl). Il avait déclaré dans une entrevue publiée en 1992: “Mon ambition était de comprendre ce qu’est l’homme”.Son livre m’avait enthousiasmé et laissé béat d’admiration. Je suis retourné dans mes anciennes notes de lecture. A la page 10, j’avais noté : “Saturne est la plus haute des planètes; et c’est dans la tradition platonicienne, le dieu des philosophes. Identifié à Chronos, il est aussi le temps qui dévore ses enfants.”

Kraepelin Psychose maniaque et dépressive

Affection cyclique (maladie mentale) se caractérisant par des accès d'excitation mentale (appelés manies) qui alternent avec des accès de dépression (appelés mélancolie). Habituellement le malade retrouve son état normal entre les accès. Ceux-ci surviennent soit isolément soit ensemble (états mixte).
Classification
On distingue la psychose bipolaire constituée d'une alternance d'accès maniaques et d'accès mélancoliques et la psychose unipolaire qui est une succession d'accès du même type, habituellement dépressifs.La forme bipolaire se caractérise par un début entre l'âge de 20 à 30 ans et touche 1 % de la population alors que la forme bipolaire atteint environ 3 % la population avec un début entre 30 et 40 ans et semble être plus fréquente dans le sexe féminin que dans le sexe masculin.Plusieurs formes sont décrites classiquement selon la périodicité des crises :
La folie à formes alternes décrite par Delaye
Le délire à formes alternes de Legrand du Saulle
La forme se caractérisant par la succession régulière d'accès maniaques et mélancoliques (chaque épisode est séparé du suivant par un intervale où le psychisme est normal)
La forme circulaire décrite par JP Falret en 1851
La psychose circulaire avec des accés maniaques et des phases mélancoliques se succédant mais il n'existe pas d'intervalle de lucidité intercalée
La psychose maniaco-dépressive à double forme décrite par Baillarger en 1854 et se caractérisant par la survenue successive et régulière du trouble maniaque et mélancolique interrompu par un épisode lucide plus ou moins long
La forme intermittente appelée également périodique se caractérisant par la présence d'accès de manie et de mélancolie chaque année à la même époque.
Causes
Il semble exister une prédisposition génétique (familiale.La notion d'alternance qui est observée au cours de cette pathologie fait penser à celle de rythme biologique. Ainsi il existerait une cause exogène (provenant de l'extérieur de l'organisme) et peut-être endogène en relation directe avec le rythme biologique de l'individu malade. Le plus vraisemblable est l'intervention de facteurs extérieurs. Les saisons, les modifications de la luminosité liées à la variabilité du climat, des événements de la vie personnelle sont peut-être pour une grande part dans la survenue de cette pathologie.
Symptômes
La psychose maniaco-dépressive se manifeste pour la première fois soit lors de l'adolescence soit chez l'adulte jeune ou encore vers 40 ans. Pour certains psychiatres cette pathologie mentale s'observerait également chez l'enfant. La crise de manie se traduit par une fuite des idées s'accompagnant
D'incohérence
D'euphorie
D'optimisme exagéré
D'une anorexie quelquefois
D'une augmentation de la libido
De mégalomanie (délire immodéré de puissance)
De crises d'euphorie pouvant aboutir à...
Une extravagance la plus totale
D'un état d'excitation extrême pendant lequel le patient est très désinhibé : par exemple, il est capable de déchirer ses vêtements, de hurler, de faire des achats inutiles et extrêmement onéreux, etc..
De logorrhée assez fréquente (le patient se met à parler de façon continue et intarissable).
De discours contenant des jeux de mots et des obscénités s'accompagnant d'une désinhibition (attentat à la pudeur) La crise de mélancolie, quant à elle, correspond à :Une dépression profonde qui se caractérise par une tristesse permanente sans relation avec les circonstances extérieures
Un ressenti de sensations internes de malaise et…
Une tristesse
Un profond pessimisme
Une estime de soi
L'indifférence pour le monde environnant
Des troubles du sommeil à type d'insomnie
Des troubles de la libido
Une angoisse assez intense comme délire s'accompagnant …
D'une culpabilité et …
D'un refus d'alimentation assez fréquent.
Evolution
Celle-ci se fait le plus souvent vers un raccourcissement des intervalles libres et vers une augmentation de la durée des accès. Le danger le plus grave de ces épisodes est le suicide et généralement environ 20 % des patients atteints de psychose maniaco-dépressive décèdent de cette manière. C'est la raison pour laquelle ils nécessitent une surveillance étroite et attentive. La crise de mélancolie, d'autre part, s'accompagne de ce que l'on appelle une inhibition intellectuelle avec manque de concentration et fabrication d'idées lente. Les gestes sont ralentis, l'indécision est habituelle avec un sentiment d'impuissance et une absence de volonté (aboulie).
Diagnostic Différentiel
Hypothyroïdie
Syndrome de sevrage après intoxication alcoolique
Maladie d'Addison
Chimiothérapie
Syndrome de fatigue chronique
Fibromyalgie
Traitement par bêtabloquant
Corticothérapie (utilisation des corticoïdes comme traitement).

30 janvier 2006

Animi Cruciatus

Du latin penitas, qui est au plus profond de soi, intérieur, reculé. Dans l'Église catholique romaine, la pénitence est un sacrement qui a pour but de pardonner les péchés. Son titre exact est le sacrement de Pénitence et de Réconciliation. Deux conditions sont nécessaires pour l'obtention de ce Sacrement :
Le regret des fautes. celui-ci implique de faire la distinction entre péché véniel et péché mortel. Le péché véniel étant un acte humain qui a été commis sans raisonnement (se mettre en colère suite à une pression intérieure...). Ce premier n'implique pas la volonté et l'intelligence, mais seulement les réactions naturelles non maîtrisées. Le péché mortel est un acte d'homme, c'est-à-dire qu'il implique une préméditation avec intention de nuire à son prochain et/ou de nuire à Dieu, de faire sciemment le contraire de Sa Volonté. Le péché contre l'Esprit est un péché mortel car il implique une volonté de servir de son plein grè le démon, ou de faire partie de son mouvement de révolte.
L'application d'une pénitence, souvent symbolique, pour faire preuve d'une réelle contrition et pour demander la grâce de mieux orienter sa nature humaine vers le Bien.

La pénitence extérieure, punition choisie par le pécheur, ou acceptée par lui, qui parfait l'absolution que lui a donné un prêtre.
La pénitence intérieure, ou conversion du cœur, qui est un changement profond du comportement accompagné d'un refus du péché. D'après le Catéchisme de l'Église catholique, « cette conversion du cœur est accompagnée d’une douleur et d’une tristesse salutaires que les Pères ont appelées animi cruciatus (affliction de l’esprit). »

Dürer, Bosch, Watteau, Poussin, Goya, Delacroix, Gericault, Van Gogh, Hopper

I . Prologue – Mélancolie antique : au 5ème siècle avant JC on parlait de la théorie des quatre humeurs, dans des écrits dits « hippocratiques » ; parmi ces humeurs, la bile noire était reconnue comme la plus dangereuse en raison de son instabilité.

II. Le Bain du diable : vers la fin du 3ème siècle après JC, des chrétiens se retirent dans le désert (Egypte, Syrie) ; ils sont plongés dans une prostration nommée dans les textes d’époque « acedia » - en théologie, l’accidie mène à la paresse du cœur et sera considérée comme l’un des sept péchés capitaux. Dans les pays du Nord, les représentations des tentations de saints ermites (Hieronymus Bosch p.ex.) dénotent le trouble des esprits. L’iconographie chrétienne multiplie les images d’affliction telles les Saintes Femmes Eplorées, adoptant une pose qui deviendra celle là même de la Mélancolie, à savoir la main gauche soutenant la tête.

III. Les Enfants de Saturne – la Renaissance : l’astrologie médiévale établit un lien entre les planètes et les humeurs (Saturne et la bile noire). Les tempéraments mélancoliques seront rangés sous l’appellation « les enfants de Saturne », incluant tous les êtres déchus ou marginaux de la société, notamment les artistes. La très célèbre gravure d’Albrecht Dürer est au cœur de l’exposition ; elle marque ce que l’on pourrait appeler l’Age d’Or de la Mélancolie. Plus tard, le thème suscite des représentations particulièrement riches, où les figures, les objets acquièrent un caractère allégorique ; les natures mortes d’alors, nommées « vanités » vont connaître un immense succès au 18ème siècle.

IV. L’anatomie de la mélancolie – l’âge classique : dans l’Angleterre élisabéthaine ainsi qu’à la cour de Rodolphe II à Prague, se développe un courant de valorisation de la mélancolie ; celui-ci déclinera toutefois au début du 17ème siècle. En publiant son « Anatomie de la Mélancolie », le pasteur Robert Burton marque le retour d’une conception médicale, dénonçant les maux que la mélancolie suscite. En art, le thème ne suggère plus guère que des idées de solitude et de méditation .

V. Les lumières et leurs ombres – le 18ème siècle : l’âge des Lumières crée un nouvel ordre qui classera la mélancolie dans le domaine de la folie ; Descartes dans ses « Méditations » parle des insensés au cerveau troublé ; pour Diderot la bile noire de la folie est une faiblesse physique et intellectuelle. Désormais le savoir laïque classe la mélancolie dans une maladie de l’esprit, elle doit donc être traitée dans des asiles ou des hospices. Toutefois un nouveau courant se fait jour : la mélancolie bourgeoise du 18ème, devenant un malaise de vivre général, son décor est la nature dont la solitude permet de s’échapper du monde. René de Chateaubriand amorce le courant romantique qui commence.

VI. Dieu est mort – Le romantisme : Nietzche proclame la mort de Dieu, ce qui clôt la longue histoire de la perte d’un monde garanti par la foi. L’attitude mélancolique se transforme à présent en une négation tragique du monde, elle se radicalise et conduit au désespoir métaphysique que l’on retrouve dans la littérature, de Baudelaire à Huysmans. L’une des images les plus fortes est celle de l’homme seul au milieu des grandes villes ; la flânerie est une manifestation de l’ennui et de l’oisiveté, le « spleen » (mot anglais désignant la rate, siège de la bile noire) devient l’expression moderne de la mélancolie.

VII. La naturalisation de la mélancolie : Au début du 19ème siècle la psychiatrie se constitue dans la médecine. La mélancolie et son autre pôle, la manie, deviennent un sujet d’étude de cette science nouvelle ; apparaissent différentes appellations, telles l’hypocondrie, la neurasthénie, ensuite la psychose maniaco-dépressive et la dépression bi-polaire. De Charcot à Freud, l’histoire de l’aliénation continue à s’écrire tout au long du 20ème siècle. Sans faire l’objet d’une définition unanimement reconnue, la mélancolie devient un topos de la science de l’âme.

VIII. L’ange de l’histoire – Mélancolie et temps modernes : la conscience malheureuse du mélancolique se trouve aggravée par les effets de l’Histoire : échecs des grandes utopies sociales et des idéologies politiques, guerres ; les totalitarismes favorisent le repli sur soi ; le moment esthétique devient un moyen de se distancier du monde.

28 janvier 2006

Albrecht Dürer Auto-portrait 1500

«Regarde attentivement la nature, écrit-il encore, dirige-toi d'après elle et ne t'en écarte pas, t'imaginant que tu trouveras mieux par toi-même. Ce serait une illusion; l'art est vraiment caché dans la nature; celui qui peut l'en tirer le possédera. Plus la forme de ton œuvre est semblable à la forme vivante, plus ton oeuvre parait bonne. Cela est certain. N'aie donc jamais la pensée de faire quelque chose de meilleur que ce que Dieu a fait, car ta puissance est un pur néant en face de l'activité créatrice de Dieu... Aucun homme ne peut exécuter une belle figure en ne consultant que son imagination, à moins qu'il n ait peuplé sa mémoire d'une multitude de souvenirs. L'art cesse d'être uniquement le produit du sentiment individuel; transmis et appris, il se féconde lui-même. Le mystérieux trésor amassé au fond du cœur se répand alors au moyen des œuvres, au moyen de la nouvelle créature que l'on tire de son sein en lui donnant une forme sensible...»

27 janvier 2006

António Ramos Rosa

L'éloge de l'ignorance

Dans Le Gardeur de troupeau, Alberto Caeiro, l'un des hétéronymes de Pessoa, déclarait que «L'essentiel est de savoir bien voir, / Savoir bien voir sans se mettre à penser» et il préconisait «un apprentissage du désapprendre». C'est dans cet esprit que s'inscrit l'oeuvre d'António Ramos Rosa qui en appelle à «l'ignorance» et tente par le recours au lyrisme et le travail de la métaphore de faire reculer la conscience et la connaissance rationnelle afin de recréer un espace habitable.
Cet abri, véritable Éden déployé par l'écriture poétique de Ramos Rosa, correspond à la saudade comme «désir d'un espace où régnerait une harmonie pleine», espace que le poème tente de conquérir en tant qu'il est le lieu de la rencontre du sujet et du monde dans la purification de la langue et l'abolition des fausses valeurs. Comment parvenir à l'ignorance et quel aspect revêt cet espace ?

Poema dum Funcionário Cansado

A noite trocou-me os sonhos e as mãos
dispersou-me os amigos
tenho o coração confundido e a rua é estreita
estreita em cada passo
as casas engolem-nos
sumimo-nos
estou num quarto só num quarto só
com os sonhos trocados
com toda a vida às avessas a arder num quarto só
Sou um funcionário apagado
um funcionário triste
a minha alma não acompanha a minha mão
Débito e Crédito Débito e Crédito
a minha alma não dança com os números
tento escondê-la envergonhado
o chefe apanhou-me com o olho lírico
na gaiola do quintal em frente
e debitou-me na minha conta de empregado
Sou um funcionário cansado dum dia exemplar
Por que não me sinto orgulhoso de ter cumprido o meu dever?
Por que me sinto irremediavelmente perdido no meu cansaço
Soletro velhas palavras generosas
Flor rapariga amigo menino
irmão beijo namorada mãe estrela música
São as palavras cruzadas do meu sonho
palavras soterradas na prisão da minha vida
isto todas as noites do mundo numa só noite comprida
num quarto só

Psychomachia

Au Ve siècle, le poète latin Prudentius, Aurelius Prudentius Clemens, écrira un poème Psychomachia, qui servira de source d’inspiration aux artistes chrétiens jusqu’à la Renaissance. La psyhomachie, c’est la guerre dans l’âme, The war within the mind,die SeelenSchlacht. On y voit les vertus terrassant les vices.Suicide de la colère. Enluminures, Bibliothèque municipale de Lyon, Auteur: Prudence, Livre: Psychomachia, Cote:Ms P.A. 22, f. 7vLa montée vers la sainteté sera donc un dur combat. Le Moyen Âge : énorme et délicat (Verlaine).
La psychomachie illustre son côté énorme, mais la sainteté, au fur et à mesure qu’on s’en rapproche, a des exigences de plus en plus subtiles : c’est le côté délicat du même Moyen-Âge qu’illustre le grand nombre de mots exprimant les nuances de la vie affective et morale : joie, allégresse, enjouement, exultation...
Le Psychomachia ( bataille des âmes ) de Prudentius est probablement la première et la plus influente allégorie médiévale " pure" , la première dans une longue tradition des travaux aussi divers que le Roman de Rose , Everyman et Piers Plowman .

En légèrement moins de mille lignes, la poésie décrit le conflit des vice et des vertus comme bataille dans le modèle de l' Aeneid de Publius Vergilius Maro. La foi chrétienne est attaquée de prés et défait les idolatres pagans grâce aux milliers de martyrs chrétiens . La chastetée est assaillie par la convoitise , mais réduit son ennemi par l'épée. La colère attaque la patience , ne peut pas la défaire et se détruit à sa place. D'une façon semblable, les divers vice combattent des vertus correspondantes et sont toujours défaits. Les figures bibliques qui exemplifient ces vertus apparaissent (par exemple le travail comme exemple de la patience ).
Malgré le fait que sept vertus défont septs vices, ce ne sont pas les sept péchés mortels habituels , ni les trois vertues theologiques et les quatre cardinales .
Psyche, es, f. : Psyché (femme de Cupidon).
Psychici, orum, m. : les matérialistes.
Psychogonia, ae, f. : génération de l'âme.
Psychomachia, ae, f. : le Combat des âmes (un poème de Prudence).
Psychomantium, ii, n. : lieu où l'on évoque les âmes, évocation des âmes. - venire in Psychomantium, Cic. Tusc. 1, 115 : venir dans un lieu où l'on évoque les âmes.

Psyché

Psyché (Yhch) amante d'Eros (Cupidon), est la personnification de l'âme représentée avec des ailes d'un papillon. Psyché est l'une des trois filles d'un roi, si belle que tous les habitants du royaume l'adoraient et que Aphrodite en était jalouse au point de tramer sa perte.
Elle envoya Eros avec comme mission de lui inspirer l'amour pour l'être le plus hideux de la terre. Mais tel est pris (épris?) qui croyait prendre: Eros tombe lui aussi sous le charme de Psyché. Il demanda à Apollon de donner un oracle au roi lui prescrivant d'exposer sa fille sur un rocher.
Là vêtue de noir, soumise, elle attend la venue du monstre mais c'est le souffle léger de Zéphyr qui l'emporte vers un palais mystérieux. Elle est la seule habitante de ce palais merveilleux où les portes sont ornées de pierres précieuses et où le dallage du sol est d'or pur. Jamais elle ne peut voir le maître de céans mais il lui rend visite toutes les nuits, et lui promet que leur bonheur durera toujours, à la condition qu'elle ne cherche pas à voir le visage de son amant.
Mais les soeurs de Psyché la persuadent qu'elle est aimée d'un monstre. Une nuit, elle allume une lampe. Tandis qu'elle contemple avec ravissement la beauté de son amant, une goutte d'huile tombe sur lui. Il se réveille et s'enfuit, alors disparaît le palais enchanté. Commence pour Psyché une série d'épreuves, dont elle se tire grâce à l'appui secret de l'Amour et la tenacité de son amour.
Chassée de toutes parts, elle arrive finalement dans la demeure de sa rivale : Aphrodite. Cette dernière l'accable de mille tourments, la retient comme esclave et lui impose quatre épreuves réputées impossibles. Mais à chaque fois quelq'un sera là pour l'aider.Ainsi, elle trie des graines mélangées de toutes espèces à l'aide de fourmis, elle rapporte la laine d'or de moutons féroces, elle puise l'eau inaccessible du Styx avec le concours l' aigle de Zeus. Pour la dernière épreuve, Psyché doit se rendre aux enfers demander à Perséphone un précieux flacon contenant une potion de sa beauté, mais il lui est recommandé de ne pas l'ouvrir et de ne pas partager le repas de Perséphone. Normalement, nul mortel ne pouvait se rendre aux enfers sous peine d'être dévoré par son terrible gardien : Cerbère. Pour passer la porte des enfers sans dommage, Psyché donne au monstre un gâteau trempé dans du vin drogué qui l'endormit. Elle n'oublie pas de prendre deux pièces de monnaie pour payer Charon à l'aller et au retour.
Mais au retour, Psyché est à nouveau perdue par sa curiosité; elle débouche le flacon, une fumée noire se répand et se dépose sur son visage qui devient hideux. En se regardant dans un miroir Psyché s'évanouit. Cependant, Eros ne l'a pas oubliée, il l'éveille d'une piqûre de ses flèches et lui rend sa beauté première.Enfin, Zeus intervient et Aphrodite pardonne:Zeus accorde son pardon à Éros et convoque les dieux pour célébrer l'immortalité de Psyché et le mariage du couple. Les jeunes mariés auront une fille : Volupté.
Le mythe de Psyché symbolise la destinée de l'âme déchue, qui, après bien des épreuves, s'unit pour toujours à l'amour divin. Les néo-platoniciens y virent la promesse d'une renaissance, d'une vie future, d'un bonheur éternel. Psyché, souvent représentée avec des ailes de papillon, avait en effet le papillon pour symbole. Le charmant récit d'Apulée, (Métamorphoses IV-28 à VI-24) , fait connaître l'interprétation populaire de cette allégorie.
Le psychisme ( du grec ψυχή , respire, souffle) utilisé dans le grec classique comme un synonyme pour le mot âme. Une séparation est faite entre les deux concepts.. Aujourd'hui le psychisme traite de l’objet de la psychologie. C'est une des quatre parties qui englobe des aspects non-physiques de l’être humain; les autres sont la conscience, l'avis(esprit) et l'âme. Alors que le psychisme existe seulement dans le corps et est connecté à lui, l'âme se réfère à la partie qui ne s’efface pas.
(Une psyché est un grand miroir mobile monté sur un chassis que l'on peut incliner à volonté pour se regarder en pied).

Bonjour Tristesse

Après la mort? «Il n'y a pas grand chose à voir, ni vie passée, ni couloir, ni lumière. C'est une chose très plate, assez médiocre...»

Cécile passe l’été de ses dix-sept ans dans une villa de la Côte d’ Azur avec son père et deux femmes très intéressantes. Son père, Raymond, est un homme séduisant qui n'hésite pas à séduire toutes les femmes qui lui plaisent. Parmi ces femmes, Elsa, avec laquelle Cécile s'entend facilement. Venue à la villa passer l'été avec son amant, elle ressemble à beaucoup d’autres que Cécile a vues entrer dans la vie de son père et la quitter après peu de temps : jeune et mondaine. Cécile, un peu naïve et essaye d’apparaître adulte et d’attirer des hommes du même âge que son père. Sa vie amoureuse est sans relief. Raymond, Elsa et Cécile passent un été tranquille, jusqu'au moment où Anne arrive suivant l’invitation du père de Cécile. Différente des autres, Anne apprécie la culture, la formation et l’intelligence. Dès son arrivée, un combat subtil commence à se développer entre les trois femmes.

Anne regarde avec un œil critique l’aventure que Cécile a avec Cyril, un étudiant qui passe ses vacances dans la région. Raymond délaisse peu à peu Elsa et devient l’amant d’Anne. Il est décidé à changer de vie pour elle et envisage même de l’épouser.

Cécile craint de perdre sa liberté. La présence de cette femme intelligente et calme, trouble sa délicieuse existence. Jalouse, elle réussit à convaincre son petit ami Cyril de simuler une aventure amoureuse avec Elsa. Raymond ne parvient pas à résister à cette provocation. Irrité de voir Elsa se tourner vers un adolescent à peine plus âgé que sa fille, il se retrouve bientôt dans les bras de son ancienne maîtresse. Anne les surprend par hasard. Désespérée elle s'enfuit et se tue dans un accident de voiture. Cécile et son père reprennent leur vie insouciante, mais la jeune fille connaît à présent un sentiment nouveau : la tristesse :
" Seulement quand je suis dans mon lit, à l’aube, avec le seul bruit des voitures dans Paris, ma mémoire parfois me trahit : l’été revient et tous mes souvenirs. Anne, Anne ! Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j’accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse. "

" C’était l’été 1954 . On entendait pour la première fois la voix sèche et rapide d’un "charmant petit monstre " qui allait faire scandale. La deuxième moitié du XXème siècle commençait. Elle serait à l’image de cette adolescente déchirée entre le remords et le culte du plaisir "

La Nausée

Jean-Paul Sartre publie la Nausée en 1938. Il y décrit Antoine Roquentin, pris d'un profond dégoût pour ce qui l'entoure, pour ses activités, et qui se réfugie dans l'imaginaire.

Antoine Roquentin, célibataire d'environ trente-cinq ans, vit seul à Bouville, cité imaginaire qui rappelle le Havre. Il travaille à un ouvrage sur la vie du marquis de Rollebon, aristocrate de la fin du XVIIIe siècle, et vit de ses rentes, après avoir abandonné un emploi en Indochine, par lassitude des voyages et de ce qu'il avait cru être l'aventure. Il tient son journal, et c'est le texte de ce journal qui constitue le roman. Il constate que son rapport aux objets ordinaires a changé et il se demande en quoi. Tout lui semble désagréable. Il n'a aucune affection pour personne. Il rencontre l'Autodidacte à la bibliothèque. Roquentin sent un profond éloignement avec tout ce qui l'entoure. Il ne supporte plus la bourgeoisie de Bouville, M. de Rollebon lui semble vite bien terne et sans intérêt aussi arrête-t-il son livre. Il veut tout quitter puis se dit que seul l'imaginaire parviendra peut-être à l'arracher à la Nausée et l'écriture d'un roman l'aiderait peut être à accepter l'existence.

" La Nausée " est un objet assez rare dans le monde de la littérature française du 20ème siècle : c'est un roman philosophique, où Sartre met en œuvre son talent de romancier pour incarner les concepts philosophiques qu'il théorisera dans l'Etre et le Néant.
Pour faire simple, on peut considérer que Sartre-Roquentin met en évidence les deux notions antagonistes :

L'en-soi, qui est, la contingence, ce qui peut ne pas être et qui s'oppose au nécessaire,
Et le pour-soi, la conscience, qui en permettant à l'homme de prendre de la distance par rapport à l'en-soi, aboutit à sa néantisation. Les actes d'un homme libre sont toujours contingents.

Simone de Beauvoir qui a participé à l'écriture de ce roman qui a duré quatre ans, écrira que " La Nausée " est le roman de la contingence.

Sartre a identifié l'expérience du néant à celle de la liberté par laquelle nous refusons notre état et décidons de "ne plus être ce que nous sommes ". Le néant serait éprouvé dans l'expérience de l'angoisse où le monde devient totalement fluide, où le sujet s'anéantit dans une impression de doute et de vertige infini.

C'est dans la scène du jardin public, que Roquentin est frappé, comme par un coup de tonnerre, par l'évidence de cette contingence en examinant la racine d'un marronnier, qui se trouve devant lui, qui existe en soi et non à travers sa fonction de pompe à nourriture pour l'arbre. Cette révélation lui fournit l'explication de son malaise, de la nausée qu'il éprouve depuis qu'il séjourne à Bouville.

Le qualificatif de " salauds " que Sartre applique à ceux qui refusent cette contingence, pour se réfugier dans des humanismes de toute sorte, religieux ou moraliste, comme cet " Autodidacte " qui constitue sa culture en lisant par ordre alphabétique tous les livres de la bibliothèque, ou les habitants de Bouville qui se promènent le dimanche. Cette notion de " salaud " n'a pas le sens moral que comporte ce mot dans son acception courante, mais quand même, pourquoi utiliser un tel mot si fort et si connoté?

Sartre pourfend avec un humour féroce tous les humanismes, qui ont le tort de prendre l'homme pour fin alors qu'il n'est qu'en projet, toujours à réaliser. L'homme ne peut exister qu'en dépassement de lui-même. Le culte de l'humanité, comme chez Auguste Comte par exemple, peut conduire au fascisme. Il nie toute intériorité, l'inconscient, la réalité du moi. Cette position de Sartre lui sera vivement reprochée et il s'en expliquera dans conférence, " L'existentialisme est un humanisme " . Même si Dieu existait, cela ne changerait rien.

Pour aller plus loin " L'Imaginaire " plus difficile à appréhender qu'un roman comme "La Nausée ".

Les Grecs et l'Irrationnel

La pensée grecque ne peut être réduite aux écrits philosophiques.

Dodds accorde une large part aux rêves. Les poèmes homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècles, constituent le point de départ de l'analyse: on y trouve de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l'homme est important, plus le message aura valeur d'oracle. Dans d'autres récits, le rêve est une vision qui nécessite une interprétation. Comme la plupart des autres peuples, les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent par la " porte de corne " et ceux qui trompent et passent par la " porte d'ivoire ".

Le rêve grec présente un caractère particulier: il est " vu " par un donneur passif, alors que nous, Occidentaux contemporains, " faisons " un rêve. Le rêve homérique est envoyé au dormeur par un autre monde, tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des héros; il est reçu comme un " présent " et est en cela recherché. Dodds montre ensuite la manière dont l'attitude des Grecs face au rêve se modifie sous l'influence principalement des Scythes venus d'Asie centrale. Leur conviction s'amplifie peu à peu - en raison de la culture chamanique que les Scythes apportent en Thrace - que l'âme est séparable du corps au moment de la mort et pendant le sommeil: ses voyages d'alors correspondent au vécu onirique. Les poèmes attribués au mythique Orphée propagent cette conviction au VIe siècle et la mêlent à celle, religieuse, de la Grèce classique. Le rêve devient un voyage de l'âme vers le royaume des morts. Ces croyances sont au moins aussi influentes dans la Grèce antique que l'attitude rationnelle à l'égard du rêve, celle d'Aristote par exemple qui fait du rêve prophétique une simple coïncidence (symbolon) et se révèle en cela presque trop " moderne " pour une civilisation qui entretient avec le monde un rapport surnaturel.

Tanguy Viel, Planètes et Trous noirs

Réflexions à partir d’Explications de Pierre Guyotat (2000), c’est à une réflexion sur la pratique littéraire contemporaine, et plus particulièrement sur les rapports qu’elle entretient avec le réel, que se livre Tanguy Viel. Texte fictionnel, Maladie (2002) se présente comme un monologue de 34 pages dans lequel le narrateur tente de circonscrire une mystérieuse maladie à laquelle il est en proie.

« Je suis un homme malade », affirme au milieu du texte le narrateur reprenant à son compte l’incipit des Carnets du sous-sol de Dostoïevski. Outre la forme du monologue et l’emploi de la première personne, nombreux sont, d’un point de vue thématique, les motifs qui rapprochent ces deux textes. C’est d’abord l’aspect protéiforme de la maladie dont le propre est, en quelque sorte, d’avancer masquée. Sournoise, rusée, elle ne donne lieu à aucun débordement verbal, n’engendre aucun comportement pathogène par lequel le “sujet” pourrait être catégorisé comme « psychopathe, schizophrène, névrotique, hypersensible, maniaque, monomaniaque, hypocondriaque [ou] cyclothymique. » Innommable, la maladie l’est tout autant par le narrateur, qui finit par renoncer à l’appeler « Hyde », que par le praticien dont elle décourage toute forme de diagnostic : « aucun mot […] ne convient au mal. Tous lui conviennent et donc aucun ne lui convient. » De même que, dans Moby Dick, il est impossible, « à partir du squelette dépouillé d’une baleine échouée, […] de se faire une juste idée de sa forme vraie », de même ici « les noms qu’on lui [la maladie] donne, c’est bien pour les savants et les autopsies. » Aussi la tentation asilaire, telle que l’a partagée un temps le narrateur avec le Malone beckettien, est-elle nécessairement vouée à l’échec. On ne peut s’empêcher de songer ici à ces lignes inaugurales de l’essai de Romano Guardini De la mélancolie : « La mélancolie est quelque chose de trop douloureux, elle s’insinue trop profondément jusqu’aux racines de l’existence humaine pour qu’il nous soit permis de l’abandonner aux psychiatres. »
Mélancolies : Planètes, trous noirs et tourbillons

Mélancolie. Le mot, que ne prononce jamais le narrateur, ne peut manquer de surgir dans l’esprit du lecteur. Car ce qui se fait entendre et que n’entend pas le médecin, qui dès lors se refuse de le prendre au sérieux, dans ses entretiens avec le “patient”, c’est l’absence de celui-ci à ses propres paroles. Ce n’est pas tant en effet lui qui parle que la maladie qui, posément, déjoue toute tentative de “repérage”. « Invisible à l’auscultation des médecins », elle parle de surcroît posément, « de sorte qu’elle ne puisse être entendue, voyez-vous. » Non contente de lui avoir ravi sa voix, c’est l’existence tout entière du narrateur qu’elle a phagocyté, réduisant celui-ci au rôle de « doublure » et lui interdisant d’être lui-même : « Pas un jour je n’ai réussi à me sentir vivant si proche de moi et de ma nature. Ma nature, comprenez-vous, ma nature chez moi est un pur fantasme, un espoir de réveil futur, mais pas une réalité. » Il y a tout à la fois quelque chose du vampirisme et des vases communicants dans l’action de cette maladie qui « vide [le narrateur] de l’intérieur à mesure qu’elle s’est remplie. » Image du creux, du trou, l’évidement du moi répond à ce que, quatre siècles avant l’avènement de la psychanalyse, le poète Charles d’Orléans avait mis en évidence avec la métaphore du « puits profond de ma mélancolie ». Vide, dépossession, aliénation du moi, c’est bien ce que soulignera le docteur Freud affirmant que « dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c’est le moi lui-même. »
Ni texte de fiction, ni texte théorique, Planètes, trous noirs et tourbillons, première de ses livraisons, est davantage la réflexion d’un écrivain sur la mélancolie dans ses rapports avec la création littéraire.
L’écriture, qui conjugue métaphores marines et spatiales, est en effet celle d’un auteur davantage que d’un théoricien. Sont par ailleurs convoquées dans ce texte nombre de figures littéraires telles que le Desdichado de Nerval ou encore le Bartleby de Melville, personnage dont la fameuse devise « J’aimerais mieux pas » serait peut-être moins l’expression d’une résistance passive que celle de l’indécision, de l’indifférence, de l’à-quoi-bon caractéristiques de l’attitude mélancolique. Car, contrairement à l’idée reçue, l’apathie mélancolique serait moins affaire, nous dit Tanguy Viel, d’absence que d’excès de désir, dont elle serait en quelque sorte le négatif. En ce sens, l’action inhibitrice de cet excès de désir serait comparable à celle de la bile noire qui, présente en trop grande ou trop petite quantité dans le corps, préside, selon la théorie antique de la médecine des humeurs, à la formation de la mélancolie.
Bile noire, soleil noir, c’est sur cette absence de couleur et de lumière étymologiquement attachée à la mélancolie que s’ouvre et se clôt ce court texte de Tanguy Viel posant que cependant que « toujours, même pour le mélancolique, il y a quelque chose plutôt que rien. Mais quelque chose quoi ? » Quelque chose noir, bien-sûr, est-on tenté de répondre, paraphrasant le titre du recueil de Jacques Roubaud.

La Manie

La manie (du grec = état d'être déchaîné) est une maladie mentale. Elle appartient comme la dépression aux troubles de l'humeur. Elle se déroule en phases.Il faut la voir comme l'inverse de la mélancolie ou peut-être même comme une sorte de fuite de l'univers mélancolique dans la quête d'une fête orgiaque. Terme utilisé habituellement en psycho-pathologie (spécialité des affections psychiques et mentales) comme synonyme d'humeur et désignant l'ensemble des symptômes se caractérisant (d'après Baillarger) «par une surexcitation générale et permanente des facultés intellectuelles et morales ».

La manie qui correspond à une altération de l'humeur, se manifeste quelquefois isolément (constituant alors une psychose autonome) mais peut également apparaître au cours d'une affection mentale.Le terme humeur, utilisé en psychologie ou en psychiatrie, ne correspond pas à celui utilisé habituellement et qui décrit le liquide situé dans un organe, une articulation, etc. ou encore l'humeur c'est-à-dire le liquide hydrique (constitué d'eau) situé entre la cornée et le cristallin ainsi que l'humeur vitrée qui est le liquide situé entre le cristallin et la rétine, etc..

Ce n'est pas non plus la disposition affective résultant d'un tempérament ou d'un état passager (être de bonne ou de mauvaise humeur).

En psychiatrie l'humeur est la tendance affective qui régit les états d'âme. Ce terme a été gardé car, par le passé, il désignait la composition des humeurs du corps. Les anciens pensaient qu'une affection des liquides tels qu'ils étaient décrits à l'époque, entraînait des perturbations de l'âme.
Le terme thymie (du grec thumos : âme) est mieux adapté pour désigner les perturbations de l'humeur au sens thymique du terme. La thymie est le tonus, l'humeur d'un individu qui est gai ou triste. Ce terme vient de thymus. Comme pour le terme humeur, les anciens thérapeutes pensaient qu'un dérèglement du thymus était à l'origine d'une mauvaise humeur au sens thymique du terme.

Mélancolie et Tragédie

La mélancolie demeure de nos jours une affection difficilement classable, tant au regard de la psychiatrie qu'au regard de la psychanalyse. Tantôt distinguée de la psychose maniaco-dépressive, tantôt assimilée à celle-ci [...] elle suscita de la part des aliénistes, et en particulier ceux du XIXe français [...] un grand intérêt et une grande suspicion tout à la fois, dus à l'image romantique qu'elle ne manquait pas de rappeler.
On connaît la préférence d'Esquirol pour le terme de «lypémanie» (lupè : chagrin) ou «monomanie triste» à celui de mélancolie qu'il abandonnait de ce fait aux moralistes et aux poètes. Or, et en dépit de ce rejet, c'était déjà faire de la mélancolie une entité nosographique spécifique, proche de la forme unipolaire qu'on lui reconnaît actuellement et qu'on rencontre encore sous l'appellation de «dépression endogène».
Par ailleurs, et toujours du point de vue de la psychiatrie, les critères actuels du D.S.M. II [...] font de la mélancolie une sous-catégorie de la «dépression majeure» [...]. Avancées et retours dans la définition de la mélancolie comme dans la reconnaissance de sa spécificité ponctuent donc l'histoire de la maladie, qui, si elle
renvoie à la tradition organo-psychique du côté de la psychiatrie française, au sens où, comme l'enseignait G. Dumas, elle n'était jamais que la conscience de l'état du corps, renvoie à une tradition plus riche du côté de la psychiatrie allemande, au sens où, comme le montraient déjà H. Emminghaus et H. Schüle, elle relevait de ce fameux mouvement hélicoïde de la «pensée sur la pensée», précurseur de l'«hémorragie interne» et de l'«évidement du moi» freudiens.» (Marie-Claude Lambotte, art. «Mélancolie» in L'Apport freudien, p. 230-231).

«Etat dépressif particulièrement sévère, caractérisé par une douleur morale intense, avec sentiments de culpabilité et d'auto-dépréciation, une grande tristesse, un ralentissement psychomoteur allant parfois jusqu'à la stupeur et une anxiété majeure s'accompagnant souvent d'insomnies et de troubles digestifs.»
Origine cérébro-psychique à partie du XVIIe et surtout du XVIIe ; D.S.M., on distingue moins dépression endogène et dépression réactionnelle, pour parler de dépression plus ou moins grave ; délire de Cottard : délire de négation du corps. (Postel, «Mélancolie»).

«La maladie bipolaire ou monopolaire (ou psychose maniaco-dépressive). - La caractéristique essentielle de cette affection est la survenue intermittente de troubles dépressifs majeurs ou mélancolie, et de troubles d'excitation ou manie avec des intervalles libres entre les accès au cours desquels le sujet est indemne de toute pathologie. Tantôt il y a alternance de mélancolie et de manie et on parle alors de maladie bipolaire. Tantôt il y a seulemnt des accès mélancolique et on parle de maladie monopolaire.
Il n'y a pas de forme monopolaire maniaque individualisée.
Von den Geisteskrankheiten ( Melancholie)

Mélancolie noire et Mélancolie douce

Il y a la «noire mélancolie» et la «douce mélancolie»; l'une est morbide, proche de la folie, et par nature, dramatique; l'autre est saine, statique, plutôt poétique ou romanesque. Pourquoi le même mot? c'est tout le problème. L'expression tautologique de «noire mélancolie» rappelle sa signification médicale: excès de bile noire et épaisse, d'où procèdent lourdeur et opacité, taciturnité et misanthropie. A cette définition de l'«humeur», héritée de Galien, la Renaissance ajoute tout un registre d'analogies: vieillesse, hiver, aquilon, élément terrestre, planète sèche et froide de Saturne, signe du Scorpion, qui renforcent l'empire d'un tempérament; elle en développe les connotations psychologiques: spéculations vaines, imagination visionnaire, angoisse du salut, horreur de la vie; elle lui ouvre ainsi le domaine littéraire. Mais jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la mélancolie reste liée aux vapeurs qui montent d'un sang chargé de bile, à l'engorgement des organes (hypocondres, rate ou «corps splénique») et à une sorte de fermentation en vase clos dont l'issue est souvent tragique: folie, crime, suicide, damnation. Telle est la maladie dont souffrent les «malcontents» de Shakespeare, les fous, les jaloux, les envieux du drame élizabéthain ou baroque, les hypocondres et les atrabilaires de Molière. Connue surtout par le théâtre, par les moeurs et par la médecine d'Angleterre, elle réapparaît en France au début du XVIIIe siècle sous le nom de maladie anglaise et bientôt de spleen.
Ses caractéristiques fondamentales restent les mêmes; Prévost classe la «mélancolie hypocondriaque» parmi les «maladies saturniennes», et le spleen parmi les affections de la rate (Manuel lexique, 1750, art. «maladies saturniennes» et «splénique»).
Le délire de Cleveland est «cette sorte de maladie qui est le plus mortel poison de l'âme parce que rien ne s'en répand au dehors et qu'elle s'enivre en quelques sorte en le dévorant tout entier» (Œuvres choisies de Prévost, éd. de 1810, V 386).
Du tempérament à la maladie, de l'obsession à la psychose, c'est le cycle traditionnel, proprement infernal, de la mélancolie. On retrouvera la vieille mythologie saturnienne dans le roman noir; les schémas de la médecine des humeurs persistent dans la psychophysiologie sensualiste. Quand Chateaubriand lui-même décrit «cette coupable mélancolie qui s'engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d'elles-mêmes dans un coeur solitaire» (Le Génie du Christianisme, 2ème partie, III, 9, «Du vague des passions»), c'est encore la même tristesse insurmontable et morbide, le même cercle vicieux d'un mal qui s'empire lui-même, sous l'effet d'une volonté masochiste.

Tout autre est la mélancolie douce; elle provient, elle aussi, d'une «disposition des humeurs», mais tempérée, équilibrée; tristesse vague, plaisir de la solitude, inclination à la rêverie prennent ici une valeur positive qui annonce la création littéraire. L. Babb rappelle à juste titre qu'Aristote avait associé la mélancolie au génie (The Elizabethan malady, p. 59); les philosophes et les poètes de la Renaissance s'autorisent de cette illustre caution: élus sous le signe de Saturne, ils deviennent les prêtres de la divine Melancholia; c'est elle que nommeront Dürer, Milton, Blake, Keats, Thomson, Hugo. L'«étoile» implique encore une part de malédiction; le don de contemplation et de connaissance entraîne la solitude et la tristesse du mage; mais la mélancolie est désormais la compagne de la vérité; dans la poésie symboliste Spleen et Idéal seront inséparables.
Le prestige du mot a-t-il provoqué sa dévaluation? C'est probable. A côté de la mélancolie profonde apparaît la tristesse vague et agréable, et à côté de la vocation, la mode. Mais les poètes et les romanciers du moyen âge connaissaient déjà les plaisirs d'un coeur «pensif et mélancolieux», aussi bien que la rêverie et les caprices de l'amour. Tristesse vague, plaisir de la solitude et jouissance de soi apparaissent dès que la sensibilité et l'imagination prévalent sur la raison et sur l'action; la mélancolie douce est propre aux époques de transition et d'incertitude; elle est liée à l'amour courtois, au platonisme de la Renaissance, à la poésie baroque, au préromantisme, au romantisme. Non pas qu'il s'agisse toujours du même sentiment: la mélancolie agréable est un sentiment sans contenu, mais que son contexte modifie; elle peut être rêverie amoureuse, aspiration mystique, mal du siècle, inquiétude de l'adolescence, attitude élégiaque ou romanesque; elle n'est définissable que par sa signification. Et c'est pourquoi l'on ne saurait confondre la solitude de Saint-Amand et celle de Lamartine, la «douce mélancolie» de Chénier, «aimable mensongère», et la «Douleur» de Baudelaire; la mélancolie préromantique, qui est découverte de l'existence pure, inventaire du coeur ennuyé et «voluptueuse tristesse», n'est pas le «mal du siècle» ni la mélancolie byronienne. Mais ce que l'on retrouve derrière chacune de ces attitudes, c'est un état poétique, une recherche d'authenticité et de présence à soi, une démarche esthétique.

La mélancolie au sens technique du mot n'a connu qu'une seule valeur; la mélancolie littéraire en a d'innombrables. Le mot savant s'est imposé dans toute l'Europe, à l'époque classique, avec même forme et même signification; le mot courant s'accompagne, en chaque langue, de qualifications et d'analogiques qui reflètent l'histoire de la sensibilité. L'anglais distingue melancholia et melancholy, sweet melancholy, gloom; l'allemand possède, à côté de Melancholie, Schwermei, Schwermut, Wehmut, etc. qui peuvent désigner autant d'états poétiques distincts. La noire mélancolie est la même partout; la douce mélancolie est intraduisible d'un pays à l'autre, et sans doute d'un poète à l'autre.

26 janvier 2006

Littérature et science

La littérature et la science (médicale, psychologique, comportementale...) sont remplies de discours sur les différentes sortes de mélancolie, sur les différences de la mélancolie avec des états voisins, sur la typologie des personnages mélancoliques.

Les théologiens ont débattu, notamment à la fin du Moyen Âge pour savoir si la mélancolie est un péché ou une maladie et pour établir la frontière entre la mélancolie et l'acedia «dégoût» (grec κηδία), la «maladie du moine», mélange de dégoût et d'indifférence au monde, mais ils ne doutaient pas que toutes deux ne soient balneus diaboli «la baignoire du diable», suivis sur ce point par Martin Luther (Tischreden, 1566).

La psychanalyse n'a pas manqué de nous apporter les éléments d'une théorie et d'une typologie de la mélancolie. Pour Freud elle serait une inhibition qui empêche le moi d'agir.

Le comportement psychologique mélancolique finit par fonder une esthétique par où s'exprime un courant fondateur du romantisme et de la modernité. On doit au poète Jean Paul la création du terme Weltschmerz (le mal du monde) qui exprime en allemand la mélancolie romantique, dans son roman pessimiste Selina de 1827. Il s'agit de l'insatisfaction (discontent) de Lord Byron manifeste particulièrement dans Manfred et Childe Harold's Pilgrimage.
Cette posture pessimiste tient au refus des poètes romantiques de s'accomoder des réalités du monde incompatibles avec leur droit à la subjectivité et à leur liberté personnelle. Cette attitude est devenue la marque du romantisme.
L'équivalent français du Weltschmerz, le mal du siècle a été exprimé par Chateaubriand, Alfred de Vigny, Alfred de Musset. Le mal du siècle/Weltschmerz s'est étendu à toute l'Europe (on le retrouve chez les Russes Pouchkine et Lermontov, chez le Polonais Słowacki) et à l'Amérique avec Nathaniel Hawthorne.
On retrouve la mélancolie romantique dans la poésie de Giacomo Leopardi sous la forme de la noia et chez Charles Beaudelaire sous celle du spleen, plus liées toutes deux à la mélancolie noire. Mais de cette dépression de l'âme, peuvent émerger de sublimes visions quand le poète accède à l'idéal. Cette mélancolie se présente souvent comme un retour à un état antérieur connu dans l'enfance ou même avant la naissance, au moins comme la nostalgie de cette vie antérieure ou comme le désir de la retrouver par la poésie. Chez William Wordsworth dans ses Lyrical Ballads, notamment son "Ode: Intimations of Immortality from Recollections of Early Childhood" (1807) la mélancolie romantique résulte de cette séparation avec l'état de grâce primordial.

Etymologie

Subst. fém. en français melancolie, malencolie, du latin melancholia, du grec μελαγχολία: «humeur noire» (μλας «noire» + χολ «bile»).
Etude sémantique

1. (Médecine ancienne). Excès de bile noire, l'une des quatre humeurs (fluides) de l'ancienne physiologie provoquant un état pathologique. La bile noire était censée être secrétée par la rate (en anglais spleen) à qui on attribuait les accès de tristesse et d'exaltation selon la température. (L'expression se faire de la bile, «se tourmenter» en garder la mémoire). En physiologie moderne, la bile est secrétée par le foie; la littérature et la langue dans u usage quelque peu vieillie lui attribuent non la tristesse, mais, les accès de colère (échauffer la bile, «exciter la colère de quelqu'un»), sens dérivé qu'a le mot spleen, «rate», en anglais. Le mot colère lui-même signifie étymologiquement «bile»).

2. État de tristesse vague, propice à la rêverie (v. les articles ÉTAT D'ÂME, RÊVERIE, SAUDADE).

3. État pathologique d'abattement, de découragement, de lassitude, de pessimisme (v. les articles DÉPRESSION, PESSIMISME). L'esthétique de la mélancolie trouve peut-être une justification que nombre de grands artistes ont souffert de mélancolie, ou du moins qu'a posteriori on a diagnostiqué chez eux une tendance mélancolique; parmi les plus célèbre on signale Molière, Voltaire et Chopin.
Le mélancolique, l'homme ou la femme atteint de mélancolie, constitue un type littéraire recoupant en partie d'autres caractères comme le misanthrope, le grincheux, le mécontant, etc., présent dans tous les genres, particulièrement la comédie antique et moderne, mais aussi dans la tragédie élizabéthaine, le drame romantique, le roman, etc.
4. Caractère d'un lieu, d'un spectacle, d'une situation, d'un genre, d'un mode d'expression, etc. empreints de douce tristesse, de nostalgie, etc. Mélancolie des ruines, des couchers de soleils, de la séparation, de l'élégie, du tango.

5. esthétique de la mélancolie: Recherche du beau dans la tristesse vague, la rêverie nostalgique, etc. comme étant susceptibles de favoriser la création artistique. Culture de ces états dans le but de se constituer une personnalité littéraire et artistique fertile en création. Le poète porte en lui le souvenir d'un état de grâce, d'éternité, de beauté, d'absolu auquel il aspire au travers de l'art (v. article SUBLIME).
Mélancolie de l'infini: Aspiration du poète, surtout du poète romantique, à retrouver par l'art ou à exprimer par l'art, l'artifice ou la fiction, un paradis perdu, une existence antérieure, un idéal infini, un absolu afin de faire apparaître une réalité transcendentale encore inconnue.

Quand la littérature valorise la mélancolie, c'est pour en faire l'instrument d'une quête métaphysique. On retrouve ce désir d'idéal absent, d'unité perdue dans le l'idéal baudelairien ou la saudade des poètes portugais ou lusophones, chez Fernando
Pessoa en particulier.

Edward Hopper

S'il faut en choisir un, voici Cinéma à New York, d'Edward Hopper. La colonne torsadée et son pendant brut parallépipédique divisent la composition en deux. A gauche, la salle de cinéma dans la pénombre, trois veilleuses au plafond, l'arrondi des fauteuils, deux spectateurs à peine visibles dans la salle quasi vide: un espace clos, courbe, refermé sur lui-même, tourné vers l'écran d'où vient le seul mouvement, la seule vie. A droite, dans une lumière plus crue, des lignes droites, verticales, une ouverture, escalier que renforce le triangle entre les rideaux qui pointe vers le haut, vers le vrai monde réel, pas celui des films, de la représentation; et cette jeune femme fine, perdue dans ses pensées, le menton dans la main bien sûr, absente au monde, celui de la fiction comme celui du réel, dans son infinie solitude.


Le Moine et L'Ile

Au XIXème. Là s'exprime à plein la dimension géniale et créatrice de la mélancolie. Le génie, seul, rejeté, marginal ne peut qu'être mélancolique. Voici côte à côte Le Moine au bord de la Mer, de Caspar David Friedrich, et L'Ile des Morts, d'Arnold Böcklin, aux deux extrémités du siècle (1808 et 1883).

Le dépouillement du tableau de Friedrich, sa composition horizontale extrêmement simplifiée, la taille minuscule du moine, homme sans descendance, face à ce ciel immense, créent une impression lugubre et humble. Y a-t-il un espoir ? un salut possible ? Notre condition est-elle désespérée quoi que nous fassions ?
Böcklin, plus funèbre par son sujet, fait aussi ressortir solitude et impuissance. L'île tombeau, l'écrin des murs de pierre claire autour de la noirceur des cyprès funéraires renforcent cette impression mélancolique. Tous les regards convergent vers l'énigmatique figure en blanc dans la barque de Charon, qui accompagne le cercueil, lui aussi drapé de blanc et couvert de fleurs, vers sa sépulture. Hitler avait acquis personnellement ce tableau en 1936, y voyant une célébration de l'âme germanique.

Hommes nés au XXème siècle, nous ne pouvons plus regarder la mélancolie à l'aune religieuse ou romantique, nous ne pouvons plus ignorer la psychanalyse et la condition humaine; depuis un siècle, la mélancolie (dirons-nous dépression?) est devenue notre norme, la manifestation de notre inadéquation au monde, de notre aliénation. Il n'est pas un artiste moderne qui ne s'y soit confronté. La sélection qu'a dû faire le commissaire de l'exposition est donc bien partielle (mais ne gâchons pas notre "plaisir"; est-ce bien le mot approprié ? J'en doute). Je ne vais pas vous remontrer Rodin (Le Penseur et la Porte de l'Enfer), Ron Mueck (Gros homme), Anselm Kiefer (ici avec un dodécaèdre sur un avion de plomb, Melencholia) ou Zoran Music (superbe Fauteuil Gris aux lignes indistinctes), tous évoqués sur ce blog il y a peu. Ni Edvard Munch et le tableau poignant de sa soeur Laura, dépressive qui mourut à l'asile; un autoportrait aurait été tout aussi illustratif de la mélancolie du peintre lui-même.

La Mélancolie - Lucas Cranach l'Ancien

Est un peintre et graveur de la Renaissance allemande, né à Kronach en 1472 et décédé à Weimar en 1553. Son patronyme dérive celui de sa ville natale.

Entre 1501 et 1504, il voyage dans la vallée du Danube jusqu’à Vienne, où il fréquente alors les milieux humanistes. Il peint durant cette période des tableaux d’inspiration religieuse (Saint-Jérôme - 1502, Crucifixion - 1503, Le Repos pendant la fuite en Égypte - 1504) ainsi qu’un portrait, le « Portrait de Dr. Cuspinian et sa femme » — un humaniste viennois — en 1504. À cette époque, son style, proche de celui d'Albrecht Dürer, d’Albrecht Altdorfer et de l’École du Danube (dont il apparaît comme un des créateurs) se caractérise par la prédominance des paysages agités, aux couleurs fastes, emplis d’une foultitude détails et de symboles, d’un lyrisme exarcerbé, paysages quasi surréalistes où la tension psychologique est palpable, espaces vitaux dans lesquels s’insèrent avec harmonie des personnages élaborés et à l’expression énigmatique.
La Mélancolie de Cranach, éclatante de couleurs. Au lieu du sombre personnage de Dürer, une jeune femme fascinante, à la grâce un peu perverse, qui nous regarde droit dans les yeux. Au lieu de l'atmosphère pesante et immobile de Dürer, une dynamique légèreté aérienne. Toutes les lignes du tableau convergent vers le menu sein de cette jeune et jolie personne. Portant de travers une couronne d'épines (sacrilège ?), elle taille une verge de bois (symbole sexuel ?). Ce tableau respire-t-il plus l'érotisme que la mélancolie ? Ce serait ne pas voir les créatures inquiétantes dans le nuage noir menaçant, sorcières et damnés chevauchant boeuf, bouc, sanglier et dragon. Ce serait faire abstraction du mouvement de la balançoire, dynamique qui va dans un instant renverser son cours et nous transporter de ce monde coloré vers l'enfer noir. L'ensorcelante beauté en rouge est un subterfuge, une aguicherie, une menace; succombant à son charme, nous voilà bientôt castrés par son couteau et transportés aux enfers par ses putti.

Religiosité

A la Renaissance, avec l'affirmation de l'individu, la mélancolie devient noble, elle est la marque de la sagesse; ambivalent comme Saturne, le tempérament mélancolique prédispose aux arts et aux sciences. ?
De la mélancolie à l'enthousiasme : Robert Burton (1577-1640) et Anthony Ashley Shaftesbury (1671-1713)
Un tournant qui a lieu dans l'histoire de la mélancolie avec la parution en 1621 de l'Anatomie de la Mélancolie en montrant que cet ouvrage est à l'origine de la sécularisation de cette notion.
Quelles ont été les conséquences de la médicalisation des controverses religieuses initiée par l'ouvrage de Burton du point de vue du débat sur la tolérance et sur la persécution ?
L'œuvre de Shaftesbury montre précisément les limites de cette médicalisation de l'enthousiasme et propose de le penser comme une passion inhérente à la nature humaine. L'expression de mélancolie religieuse change alors de sens, l'approche naturaliste ne servant plus à stigmatiser des comportements religieux déviants (enthousiasme, désespoir religieux, athéisme), mais à s'interroger sur les conditions d'une pratique non mélancolique de la religion, tout en posant les prémisses d'une histoire naturelle du phénomène religieux (fanatisme et superstition).
Dans cette perspective, le discours médical demeure pertinent pour s'interroger sur les conditions d'une diététique politique, religieuse et individuelle. La remise en cause du schéma des humeurs s'est traduit par une transformation du discours sur la mélancolie qui a elle-même joué un rôle décisif dans la constitution d'un nouveau discours sur la nature humaine : dans la manière de penser les rapports de l'âme et du corps, de déterminer le statut et le rôle de l'imagination dans la genèse des dérèglements physiologiques et psychologiques, de définir le rapport de l'homme à la folie et de penser le lien entre la maladie et la connaissance de soi.

Saint-Jean Baptiste

Saint Jean-Baptiste au désert de Gérard de Saint-Jean, tableau somme toute assez paisible, moins tourmenté que les diverses Tentations de Saint Antoine montrées dans ces salles.
Voici celle d'un anonyme du Haut-Rhin. Le saint flotte dans l'air, le regard tourné vers le ciel cependant qu'une dizaine de démons (mais aucune femme nue, contrairement à la tradition) se déchaîne contre lui, créatures dentues, griffues, cornues, ailées .
Est-ce un tableau de mélancolie ?
Peut-être par la fenêtre qu'il ouvre sur l'inconscient, sur nos propres démons qui nous détournent du droit chemin; le catalogue le rattrape en nous disant que le don de visions (au pluriel) est la caractéristique principale de la mélancolie. Peut-être.

L'Ermite

Ah, comme tout était plus simple jusqu'à la fin du Moyen-Âge ! La mélancolie, ou l'acédie, était un péché mortel, qui frappait les ermites, retirés du monde, soumis à la tentation. Leur prostration les empêchait d'adorer le Seigneur, les distrayait de leur voie toute tracée.
Cette paresse du coeur, cet ennui, cette oisiveté de l'esprit étaient à bannir, éléments négatifs, "oreiller du diable". Depuis toujours, pour suivre le cours de leurs vagues pensées, ils soutenaient leur menton de la main et leur regard se perdait dans le vide.
Le premier ermite connu de la chrétienté est Saint Antoine (vers 250-350) qui s'établit dans le désert de Haute-Egypte, dans la région de Thèbes. Orphelin à seize ans, il se retrouve à la tête d'une belle fortune. Mais il est chrétien et l'empereur Dèce déclenche une persécution. Paul fuit au désert et c'est là qu'il rencontre Dieu dans la solitude d'une grotte où il restera pendant quatre-vingt-dix ans. Agé de 113 ans, il reçoit la visite de saint Antoine et conversent tous deux toute la nuit. Au petit matin, saint Paul meurt. Antoine l'enveloppe dans le manteau que lui avait donné saint Athanase d'Alexandrie. Des gestes qui sont tout un symbole de la tradition de l'Eglise
À son exemple, de nombreux ermites se sont retirés dans le désert à partir du IIIe siècle. On les a appelés les Pères du désert.

A l'image du Christ qui s'est souvent retiré dans le désert pour prier, l'ermite recherche la solitude pour se dépouiller de ce qui l'encombre, faire un retour sur lui-même, lutter contre les tentations et trouver les conditions favorables pour rencontrer Dieu
L'ermite partage sa vie entre la prière, la méditation et le travail. La vie des chartreux procède du même esprit.
Au XXe siècle Charles de Foucault a vécu en ermite à Tamanrasset tout en ayant de nombreux contacts avec la population locale.

Un Moi maltraité...

"La mélancolie : un moi maltraité par l’idéal"
Sigmund Freud

La transformation en manie ne constitue pas un trait indispensable du tableau morbide de la dépression mélancolique. Il y a des mélancolies simples, à accès unique, ou périodiques, qui ne subissent jamais ce sort. Mais il y a, d’autre part, des mélancolies dans lesquelles les occasions extérieures jouent un rôle étiologique évident.
Ce sont celles qui surviennent soit à la suite de la mort d’un être aimé, soit à la suite de circonstances qui ont déterminé le détachement de la libido d’un objet aimé. Comme les mélancolies spontanées, ces mélancolies psychogènes peuvent subir la transformation en manie, avec retour consécutif à la mélancolie, le cycle recommençant ainsi plusieurs fois.
La situation est donc assez obscure, d’autant que rares sont encore les formes et les cas de mélancolie qui aient été jusqu'à présent soumis à l’examen psychanalytique. Les seuls cas que nous comprenions bien actuellement sont ceux où l’objet a été abandonné, parce qu’il s’est montré indigne d’amour. Il se trouve alors, par le mécanisme de l’identification, reconstitué dans le Moi et sévèrement jugé par l’idéal du Moi. Les reproches et attaques dirigés contre l’objet se manifestent alors sous la forme de reproches qu’on s’adresse à soi-même.
Même une mélancolie de ce dernier genre peut se transformer en manie, de sorte que cette possibilité apparaît comme une particularité indépendante de tous les autres caractères du tableau morbide.
Mais je ne vois aucune difficulté à introduire dans l’explication des deux variétés de mélancolie, de la spontanée et de la psychogène, le facteur que nous avons défini comme étant la révolte périodique du Moi contre l’idéal du Moi. En ce qui concerne les mélancolies spontanées, on peut admettre que l’idéal manifeste une tendance à la sévérité particulière, ce qui a pour conséquence automatique sa suppression momentanée. Dans les mélancolies psychogènes, la révolte du Moi serait provoquée par les rigueurs que le Moi subit de la part de l’idéal, dans le cas de son identification avec un objet réprouvé et repoussé.

On juge toute sa vie puis on comprend qu'il faut s'abstenir de juger.

Melancholia, Albrecht Dürer, 1514.




Psychanalyse

Karl Habraham isole la dépression dès 1911: il la distingue par exemple d'une névrose d'angoisse.

Le texte fondateur pour la psychanalyse de la théorie de la mélancolie est Deuil et mélancolie (1915, in Métapsychologie). Freud y compare l'état dépressif passager consécutif à un deuil à la mélancolie. Le deuil est une réaction normale à une perte, qu'elle soit humaine et affective ou idéale. Le mécanisme du deuil consiste en un désinvestissement de l'objet perdu, en un retrait de la libido, par le biais de la remémoration, du "ressassement". Le deuil peut prendre une tournure pathologique, versant dans la psychose par le déni, ou comme dans la névrose obsessionnelle, lorsque le deuil du père force une confrontation au complese d'Oedipe.
Selon Freud, le deuil et la mélancolie partageraient certains symptômes, mis à part la mésestime de soi, l'accablement d'auto-reproches.

Freud, à partir de cette différence fondamentale, déduit que la perte à laquelle réagit le mélancolique est inconsciente, et n'est pas directement en relation avec une perte réelle comme dans le deuil.

La théorie de Freud à propos de la mélancolie postule que le sujet réagit à la perte en retournant sa libido dans son propre moi : le mélancolique a effectué le désinvestissement objectal, mais la quantité de libido reste intacte et appliquée au moi, qui devient l'objet perdu. Ainsi le mélancolique régresserait à l'identification narcissique, devenant son propre objet, et privilégiant le versant de la haine : c'est ainsi que s'expliquent les auto-reproches parfois délirants.

Freud présuppose donc trois conditions à l'origine de la mélancolie : la perte de l'objet, l'ambivalence envers l'objet et la régression de la libido dans le moi.

Au moment de cette théorisation, le terme de "dépression" était utilisé en tant qu'adjectif, afin de décrire cet appauvrissement général de la vie affective et intellectuelle du sujet mélancolique. Ainsi ce qui serait traité plus tard en psychiatrie comme la psychose maniaco-dépressive ou le trouble était considéré comme alternance de phases de manie et de mélancolie.

Le cas Haitzmann, une névrose démoniaque au XVII siècle est la présentation la plus explicite d'une dépression. Haitzmann est un artiste qui sombre (ou qui s'éclaire ?), à la mort de son père, dans la dépression. Il fait alors un pacte avec le diable lui demandant de retrouver son père pour quelques années. D'où l'expression si curieuse de névrose démoniaque…

L'apport psychanalytique à l'appréhension de la mélancolie se situe également dans la position dépressivedécrite par Melanie Klein, et qui renverrait à la formation même du moi, naissant dans la douleur de l'ambivalence - en effet, il y aurait aux origines de cette instance, pour laquelle se prend le sujet, une angoisse dépressive s'originant dans l'ambivalence face à l'objet total.

Dieu nous rêve. S'il s'éveille, nous disparaissons à jamais.

El desdichado


Je suis le ténébreux — le veuf, — l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie;
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus?... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encore du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval.




Portrait par Nadar, vers 1854

Histoire de la Mélancolie

La mélancolie fut d'abord un terme médical, fondé sur la théorie des humeurs. Il désignait une folie triste. Au XVIIe siècle, on semble avoir été sans complaisance à l'égard de cette folie.«Surtout je redoutais cette mélancolieOù j'ai vu si longtemps votre âme ensevelie.» Racine, Andromaque.«J'ai honte de montrer tant de mélancolie, dit de son côté Horace», un des personnages de Corneille .
Quant à Boileau, il traite la mélancolie comme une faute de style: «modère les bouillons de ta mélancolie.»Le mot s'éloigne ensuite de son sens médical pour désigner une tristesse vague et plutôt douce qui sera un état de grâce à l'époque romantique, que Rousseau inaugure ainsi: «Ô mélancolie enchanteresse! ô langueur d'une âme attendrie! combien vous surpassez les turbulents plaisirs, la gaité folâtre, la joie emportée , et tous les transports qu'une ardeur sans mesure offre aux désirs effrénés des amants!»L'équivalent de la mélancolie est appelé aujourd'hui dépression. L'image d'une implosion, d'un effondrement a remplacé celle d'un débordement, d'un excès d'humeur noire.
La notion de dépression n'a toutefois pas chassé celles d'humeur et de mélancolie des manuels de psychiatrie. Dans le Précis pratique de psychiatrie, de Duguay et Ellenberger, (Maloine -Chênelière et Stanké) l'auteur de l'article sur les maladies de l'affectivité, Charles Dumas, nous rappelle que les mots manie et mélancolie remontent à l'antiquité grecque, qu'Aristote avait remarqué que les artistes et les penseurs étaient sujets à la tristesse. Il nous apprend même que la Bible, dans une allusion aux états dépressifs de Saül et de Job, évoque les bienfaits de la musicothérapie: «David pinçait la harpe pour calmer et soulager Saül quand l'esprit mauvais de Dieu fondait sur lui.». Au cours des siècles, explique Charles Dumas, les deux mots, manie et mélancolie, seront employés pour qualifier toutes formes de folie et délires, la manie désignant les folies totales, la mélancolie, les folies partielles...
À la fin du XIXe siècle les grandes maladies de l'affectivité se regrouperont autour de la psychose maniaco-dépressive et de la mélancolie d'involution.[...]La psychanalyse assimilera la mélancolie à une réaction de deuil anormale.»

La mélancolie est le partage de tous les hommes de génie.

Le Docteur Mélancolique




Publié originellement dans : Antoine François Hippolyte Fabre, Némésis médicale illustrée, Paris, Bureau de la Némésis médicale, 1840.


L'homme dont la conscience accepte sa fragilité, son individualité comme sa dépendance aux autres, fait de l'expérience de la douleur, de la maladie et de la mort une part intégrale de sa vie. La capacité à s'accommoder de façon autonome de ce trio est fondamentale pour la santé. L'homme qui devient dépendant dans la gestion de son intimité, renonce à son autonomie et sa santé doit inévitablement décliner. Le vrai miracle de la médecine moderne est diabolique. Il permet en réalité la survie non seulement d'individus mais de groupes de population dans des conditions de santé personnelle cruellement médiocre. La Némésis médicale est l'effet retour négatif d'une organisation sociale qui s'était donné pour but d'améliorer et de rendre égal pour chacun sa propre gestion autonome pour finir en réalité par la détruire.

25 janvier 2006

Melancholia

Dante et Virgile en Enfer, William Adolphe Bouguereau, 1850.





Melancholia μελαγχολια.


L'histoire de ce mot, racontée par Littré au moyen de citations, est fort instructive. Il signifie littéralement bile (kolh ) noire (melas).

La mélancolie prend différentes significations à travers les âges. Elle décrit, très généralement, un état de détresse apathique, d'abandon proche de la dépression.

La mélancolie peut aussi être vue comme une « maladie sacrée » qui dans la culture occidentale a concerné toutes les expressions de la pensée et de l'art : philosophie, médecine, psychiatrie et psychanalyse, religion et théologie, littérature, musique et arts.

La mélancolie est un vecteur de fertilité, de lucidité, de clairvoyance, mais aussi paradoxalement de désespoir.