30 avril 2006

Il faut deviner le peintre pour comprendre l'image... Friedrich Nietzsche

Énée décrit à Didon la chute de Troie, Pierre-Narcisse Guérin, 1815.




La baronne de Guénic Béatrix (Balzac)

" Hé bien, elle aime aussi, celle-là", se dit Calyste en repliant la lettre d'un air triste.

Cette tristesse jaillit sur le coeur de la mère comme si quelque lueur lui eût éclairé un abîme. Le baron venait de sortir. Fanny alla pousser le verrou de la tourelle et revint se poser au dossier du fauteuil où était son enfant, comme est la soeur de Didon dans le tableau de Guérin ; elle lui baisa le front en lui disant: " Qu'as-tu, mon Calyste, qui t'attriste? Tu m'as promis de m'expliquer tes assiduités aux Touches; je dois, dis-tu, en bénir la maîtresse.

- Oui certes, dit-il, elle m'a démontré, ma mère chérie, l'insuffisance de mon éducation à une époque où les nobles doivent conquérir une valeur personnelle pour rendre la vie à leur nom. J'étais aussi loin de mon siècle que Guérande est loin de Paris. Elle a été un peu la mère de mon intelligence.

- Ce n'est pas pour cela que je la bénirai, dit la baronne dont les yeux s'emplirent de larmes.

- Maman, s'écria Calyste sur le front de qui tombèrent ces larmes chaudes, deux perles de maternité endolorie! maman, ne pleurez pas, car tout à l'heure je voulais, pour lui rendre service, parcourir le pays depuis la berge aux douaniers jusqu'au bourg de Batz, et elle m'a dit: " Dans quelle inquiétude serait votre mère! "

- Elle a dit cela? je puis donc lui pardonner bien des choses, dit Fanny.

- Félicité ne veut que mon bien, reprit Calyste, elle retient souvent de ces paroles vives et douteuses qui échappent aux artistes, pour ne pas ébranler en moi une foi qu'elle ne sait pas être inébranlable.

L'art peint avec des mots, avec des sons, avec des couleurs, avec des lignes, avec des formes ; si ces moyens sont divers, les effets sont les mêmes.

Le Déluge, Anne Louis Girodet Trioson, 1806




La Princesse de Cadignan (Balzac)


- J'ai souvent accompagné, dit Daniel, mon ami aux Italiens, à l'opéra. Le malheureux courait avec moi dans les rues en allant aussi vite que les chevaux, et admirant la princesse à travers les glaces de son coupé. C'est à cet amour que le prince de Cadignan a dû la vie, Michel a empêché qu'un gamin ne le tuât.

- Eh bien! vous aurez un thème tout prêt, dit en souriant Blondet. Voilà bien la femme qu'il vous faut, elle ne sera cruelle que par délicatesse, et vous initiera très gracieusement aux mystères de l'élégance; mais prenez garde! elle a dévoré bien des fortunes! La belle Diane est une de ces dissipatrices qui ne coûtent pas un centime, et pour laquelle on dépense des millions. Donnez-vous corps et âme; mais gardez à la main votre monnaie, comme le vieux du Déluge de Girodet.

Après cette conversation, la princesse avait la profondeur d'un abîme, la grâce d'une reine, la corruption des diplomates, le mystère d'une initiation, le danger d'une sirène. Ces deux hommes d'esprit, incapables de prévoir le dénouement de cette plaisanterie, avaient fini par faire de Diane d'Uxelles la plus monstrueuse Parisienne, la plus habile coquette, la plus enivrante courtisane du monde.

La mort est le commencement de l'immortalité... (Robespierre)

L'Apothèose d'Homère, Jean-Paul Etienne Balze, 1855.





«Des hellénistes et des anthropologues modernes ont vu plutôt dans la tragédie la transformation de rites funéraires». «Je pense surtout à la négation de la vie. Les degrés marqués d'inhibition, la «stupeur dépressive» constituent une mort symbolique. Le mélancholique demeure insensible aux influences extérieures les plus vives comme s'il n'appartenanit plus au monde animé.»

La mort liée à l'immortalité héroïque

«En 1919, Freud conçoit toujours l'angoisse de mort comme un déplacement de l'angoisse de castration. L'immortalité serait au narcissisme ce que la négation de la castration est à la libido d'objet.. encore que Freud commence à soupçonner l'influence possible d'autres facteurs. Il était trop imformé de la clinique psychiatrique de son temps pour ne pas s'apercevoir que le syndrome de Cottard observé dans la mélancolie, les idées de grandeur des démences vésaniques ou de la phase terminale des paralysies générales, ne pouvaient s'interpréter au nom du seul narcissime.»
«En fait, l'introduction de la pulsion de mort modifiait totalement la conception du fonctionnement de l'appareil psychique. On peut en prendre la mesure en comparant les vues de Freud sur la mélancolie à travers deux écrits. Le plus ancien «Deuil et mélancolie», daté de 1915; expose une conception antérieure à la dernière théorie des pulsions.


Les lumières étaient bizarres, inquiétantes. Merveilleuses comme dans une féerie enfantine ou un conte de Noël où la poésie fait une courte halte dans les cœurs des hommes, les lumières mélangeaient le jour et la nuit de manière si étrange que l’angoisse de ne plus appartenir à une terre en révolution autour du soleil en dissipait l’enchantement visuel. Des bandes de couleur verte se découpaient dans la mer sombre sous l’effet de projecteurs célestes multiples, comme si le crépuscule voyait s’abîmer dans la mer plusieurs soleils. La nature avait pris un ton à la fois si vif et si désolé que mes proches voisins de la plage ne se distinguaient en rien les uns des autres. Je suppose que nous étions tous abasourdis par le spectacle sublime et mystérieux de ces lumières, un peu comme le sont les enfants dans les récits naïfs d’apocalypses. En vérité, on aurait dit que les infrarouges et les ultraviolets avaient subitement rejoint, par une de ces métamorphoses radicales de la physique que seul un Dieu peut exécuter, les longueurs d’onde habituelles et rassurantes du spectre visible. C’est bien cela, le spectre lumineux s’était étendu hors de ses marges, de ses confins et avait recruté de nouvelles luminosités.

À ce moment, je vis une main fermée qui se promenait dans le Ciel et rasait à intervalles périodiques la surface de la mer. Le poing volait au-dessus de nos têtes comme un insecte géant ou un avion de combat prêt à larguer ses bombes. Les gens de la plage se tenaient immobiles et silencieux, redoutant peut-être les mouvements de la main fermée. Quelle créature démoniaque pouvait-elle ainsi se rire de l’indolente lassitude qui voue les plaisanciers aux anodins jeux de sable ou aux siestes ensoleillées ? Après quelques minutes, la main disparut du ciel et les hommes soulagés ?semblèrent reprendre le cours ordinaire de la vie. Personne d’entre eux, je suppose, ne souhaitait commenter la chose. La main qui volait ne faisait pas partie du plan de leur vie. Mes voisins reprirent leurs livres et leurs journaux, mais je restais sur mes gardes. Le feu d’artifice et les distractions annexes qui l’accompagnaient n’étaient annoncés que vers minuit et nous étions encore à quelques heures des festivités promises. Malgré le stupéfiant découpage de la mer en bandes multicolores, chacun faisait mine de se distraire et se montrait indifférent à la métamorphose du crépuscule. Du reste, les autorités n’avaient prévu aucune tempête, pas même un coup de vent. On voyait sur la plage les tentes, les parasols et les transats sans protection ni amarrage et cela suffisait à rassurer les baigneurs et les oisifs qui s’attardaient près de la mer malgré l’heure tardive. Avais-je rêvé tout à l’heure en regardant la main gantée dessiner ses acrobaties aériennes ou se pouvait-il que les autorités de la ville aient mis en scène, comme dans un opéra, l’étrange crépuscule qui couchait ses nombreux soleils dans la mer et les admonestations du poing céleste.

En vérité, je crois que l’espèce humaine de la ville balnéaire se soumettait comme ailleurs au savoir-faire des autorités et faisait peu cas des miracles ou des étrangetés qu’on n’annonçait pas dans les programmes officiels. Du reste, la technologie des spectacles municipaux, à l’occasion des festivités estivales, s’enrichissait chaque année de nouveaux artifices dont Moïse aurait rêvé dans les Temps reculés de l’humanité.

Pourtant, la soumission crédule ou le manque de curiosité des autres me surprenait, pire, m’irritait. Etions-nous si sûrs que ce spectacle soit une simple mise en scène contrôlée et régie par les habiles et talentueux machinistes de la ville ? La lumière d’un soleil couchant m’étonna soudainement par sa vigueur et sa clarté. Loin de tendre vers le rouge ou le mauve avant de tomber dans l’eau, le soleil gagna au contraire en puissance, au point que j’en fus aveuglé. La mer sous l’emprise de son intense rayonnement, au lieu de s’iriser de ce scintillement argenté des derniers éclats solaires se teinta d’une couleur vert émeraude d’une splendide et vénéneuse beauté, comme si la nature avait troqué sa splendeur primitive et sauvage contre les ors et les bijoux d’une princesse des mille et une nuits.
Craignant que mes sens ne soient abusés par l’étrange farce surréaliste qui mélangeait de la sorte les midis et les crépuscules, je me tournai à nouveau vers mes voisins de plage, guettant dans leurs mimiques ou leurs propos la naissance d’une perplexité commune. Mais le coucher des soleils ne semblait guère les perturber. L’un d’entre eux, que je connaissais vaguement et qui m’avait aperçu l’après-midi dans le hall de l’hôtel où se tenait notre colloque sur les limites du principe de précaution, me fit un signe poli de la main et reprit son document de travail. Sa conférence du lendemain occupait tout son esprit et ne laissait guère y pénétrer les rayonnements insolites.

Tout à coup, débouchant du ciel à grande vitesse comme un météore, je vis un groupe d’hommes et de femmes se désintégrer à la surface de la mer dans des gerbes d’écume et un fracas d’explosions. Il ne restait rien de cette fresque éphémère sinon une flaque rouge, comme une tâche de sang sur la mer d’huile.
Il se passa à peine quelques instants avant qu’un deuxième groupe n’apparaisse dans le ciel sous les vivats et les encouragements de la foule qui se pressait sur les terrasses surplombant la plage. Il me sembla reconnaître le Radeau de la méduse de Géricault avec ses gens affamés et en guenilles, hissant leurs faméliques silhouettes au-dessus des cimetières marins. C’était bien ça, au fur et à mesure que le groupe chutait à vive allure vers la mer, je découvrais la saisissante reconstitution du tableau. Etait-ce un hologramme formidable, une projection d’images époustouflantes animée par une équipe d’illusionnistes hors du commun ? Tout cela semblait si vrai, si naturel. À nouveau, le choc dans l’eau fut terrible, assourdissant. La mer prit une teinte rouge sang après le choc, les cris et les explosions. Les applaudissements crépitèrent sur les terrasses de la ville balnéaire.
Les fusillés du Tres de mayo de Goya surgirent peu après, dans le halo grimaçant des lanternes, très haut dans le Ciel et entamèrent leur vertigineuse plongée, chassant des esprits les naufragés de la Méduse. Un cri d’admiration fusa des bouches de la foule comme un frisson ou une ola qui soulève d’enthousiasme les publics des stades. J’avais bien aperçu sur les affiches municipales l’annonce d’un spectacle consacré aux grandes peintures avant le traditionnel feu d’artifice de minuit, mais je n’y avais guère prêté attention, las de cette concurrence sans fin des festivals ou des journées thématiques que chaque ville se croyait obligée d’organiser pour gagner un peu de considération et d’argent. Le pays croulait sous l’avalanche de festivals de tous ordres ; chaque cité, fût-elle très petite, se battait contre les autres avec un orgueil plus ou moins mesuré et d’inégales capacités logistiques à la manière de ces seigneurs toscans du Moyen Age qui érigeaient des tours de plus en plus hautes pour affirmer leur pouvoir et leur fortune. À l’hôtel, nous avions eu tout le loisir de consulter le programme des fêtes, mais j’avais eu à cœur de relire mon intervention au colloque. J’avais beau me persuader que tout est dans tout et que rejeter un point de vue sous le prétexte qu’il est hors sujet illustre presque toujours une pauvreté de pensée et un défaut de jugement synoptique, il m’arrivait de douter de la pertinence et de la clarté de mes pensées. Je savais que mon esprit fonctionnait de façon trop intuitive, trop brouillonne et que ce dérèglement fautif de la cadence et de la discipline des arguments me valait l’ordinaire réprobation de mes collègues. J’avais donc révisé mes notes l’après-midi avant d’aller à la plage et tenté d’y mettre un nouvel ordre, tout aussi bancal et approximatif que les précédentes versions et dont l’unique mérite était d’être le dernier né. En sortant de l’hôtel, des fragments de réflexions vagabondes et fébriles sur les nombreux détours de mon exposé m’avaient distrait de la vue des centaines de pancartes qui vantaient le spectacle pionnier de la soirée sur l’art pictural du XIXe et du XXe siècle. Informé de ce fait, je n’aurais pas marqué un tel étonnement à la vue des multiples soleils qui rappelaient les toiles de Monet ou de Mykinès. Maintenant que les astres reposaient dans les profondeurs marines et que l’obscurité avait envahi l’endroit, les compositions éphémères des peintres imprimaient librement leurs foudroyantes beautés visuelles chez les spectateurs.

Mais à quoi bon ces cris, ces tourments, ces détonations qui suivaient la chute des fresques dans l’eau ? Je restai songeur et mal à l’aise face à cette débauche de moyens optiques et de pétarades assourdissantes.

La mer, à l’endroit où les projecteurs suivaient la chute des tableaux, avait la couleur charnelle et ferreuse du sang, une couleur rouge sombre, viscérale, écorchée, la couleur des bœufs dépecés de Rembrandt ou de Soutine. Un nouveau groupe illumina le ciel, aussi clair qu’une étoile filante ou que la queue argentée d’une comète : « L’entrée du Christ à Bruxelles » de James Ensor avec ses fanfares, ses masques, ses hurlements, sa foule sinueuse, bavarde et ondulante, où l’on devine au fond, perché sur sa monture d’âne, Jésus. Les banderoles sont là aussi, Vive la Sociale, Vive Jésus, roi de Bruxelles.

- Mon Dieu, mon Dieu !.. Est-ce possible ? Faites que cela ne soit pas vrai. Pas lui, je vous en supplie. Je me retournai et vis le visage en pleurs d’une jeune femme.
Oh non pas lui, c’est son tour, je le sais. On lui a fait mettre la tunique rouge du Christ. Et maintenant il va mourir ! Mon Dieu, mon dieu, tout est fini, tout est fini…

- Mais qui prie-t-elle ainsi, me demandai-je. Le Jésus du tableau d’Ensor perdu au milieu des masques ?

- Ne vous sentez-vous pas bien, Madame ? Tout cela est saisissant, affolant même, j’en conviens, mais ce n’est qu’un prodige technique, une sorte d’hallucination optique. Je vous promets qu’on ne va pas tuer Jésus aujourd’hui une seconde fois.

- Hélas, Monsieur, hélas si, cet homme qui est monté sur l’âne n’est autre que l’homme que j’ai aimé, et que l’on va exécuter aujourd’hui, fagoté avec les autres, tous promis à un terrible trépas. Tout cela est vrai, horriblement vrai. Nous sommes damnés ! La mer, la mer va se soulever et nous engloutir. Nous sommes des porcs, des barbares, moins que des bêtes. Et Dieu n’écoute plus nos prières.

- Mais enfin, Madame, vous perdez la raison. Ce spectacle est grotesque, je vous l’accorde. Il est morbide et racoleur. Il offense sans aucun doute le bon goût et met à mal l’idée que des âmes sensibles se font des chefs-d’œuvre de la peinture. Mais ne sommes-nous pas déjà résignés à cette tapageuse et gigantesque braderie des arts ? Bach et Mozart servent aujourd’hui dans les supermarchés ou les halls de gare à distraire notre impatience et nos mouvements d’humeur. Pourquoi en serait-il autrement avec la peinture ? L’œuvre d’art à l’âge de sa reproductibilité technique. D’estimables penseurs du siècle dernier en avaient prophétisé les pires débordements marchands. C’est triste, regrettable et par certains aspects d’une monstrueuse vanité. Mais pourquoi en serions-nous à ce point terrorisés ? Ne pouvons-nous pas en rire, tout simplement, Madame ?

- Vous ne comprenez pas, Monsieur, vous ne comprenez pas la malédiction qui va frapper la terre, qui va nous frapper tout à l’heure. La mer va se soulever. J’en suis sûre ! Et elle punira, elle anéantira ces spectateurs, vous, moi qui sommes venus assister à l’exécution.

Je ne répondis pas sur le champ à la jeune femme. Malgré les mimiques de terreur qui déformaient son beau visage, j’avais le sentiment qu’elle succombait à un démon intérieur ou à une crise de folie qui lui découvrait un autre monde d’une indicible cruauté. Mais sa terrible conviction que ce spectacle donné dans la moiteur d’une soirée estivale n’était pas une mise en scène extraordinairement réussie, mais une authentique exécution collective, ce pressentiment absurde commençait à semer la désolation et le trouble dans mon esprit.

Je me retournai vers la jeune femme qui laissa échapper un sinistre cri au moment où le Christ de Bruxelles et sa foule de compagnons masqués et grimaçants se volatilisa au contact de l’eau comme une masse humaine ceinte d’une gigantesque ceinture d’explosifs. La jeune femme pleurait maintenant et chuchotait des mots insensés sur la mer révoltée, sur la vengeance des flots rouges. Des mots insensés, hoquetés dans la douleur et la lamentation et qui n’avaient plus cours dans notre monde du principe de précaution maximale dont la raison d’être principale était d’alléger les souffrances de la condition humaine. En d’autres circonstances, je me serais moqué de ses airs absurdes de fausse prophétesse et de sa manie enfantine de convoquer la vengeance divine contre les folies humaines, mais son angoisse démoniaque me troublait. Et j’en vins à me demander fiévreusement si sa détresse théâtrale que je tenais encore tout à l’heure pour le fruit d’une imagination maladive n’avait pas des causes bien réelles. Je la suivis des yeux quand elle se leva et marcha en direction de la mer. Je me levai aussi et emboîtai ses pas.

- Madame, Madame, lui dis-je en hâtant l’allure afin de me retrouver à ses côtés, que voulez-vous suggérer, que ces tableaux ne sont pas des compositions artificielles mais bien des assemblages d’hommes que l’on envoie de la sorte à la mort ?

- C’est l’exacte vérité, me répondit-elle, mais maintenant cela n’a plus d’importance. La vengeance du ciel approche. Nous sommes des monstres.

- Mais enfin, Madame, vous ne pouvez croire à des sornettes pareilles. La fin du monde, c’est le cauchemar des hommes de l’Age technique. Malgré nos exterminations de masse, les hommes continuent de croître et de se multiplier sur la planète. Nous vivons encore avec les angoisses d’une espèce rare alors que nous sommes dorénavant dans le temps de l’abondance humaine.

- Venez-voir la mer, me dit-elle, la mer ne ment pas. Elle me prit la main. Je ne savais pas s’il s’agissait là d’un geste de défi ou de tendresse. Je suis complètement fou, pensai-je, je suis cette jeune femme qui est la proie d’un délire mystique et qui en veut au monde entier d’avoir tué à nouveau Jésus. Mais sa main suppliante et moite qui serrait mes doigts me guidait vers la mer, et je ne résistais pas. Je pensai au tableau de Bruegel le Vieux montrant une file d’aveugles suivant sans malice le premier d’entre eux qui avait chuté dans une mare. La belle jeune femme possédée par son mystère me tirait vers la mer et je la suivais, docile, résigné aux pires révélations.

Nous arrivâmes au bord de l’eau et nous sentîmes sous nos pieds la succion désagréable de vaguelettes chaudes et poisseuses.

- Regardez, regardez l’eau. Elle est rouge ! Elle est rouge parce que c’est du sang, le sang de tous ces suppliciés qui ont diverti vos yeux…
Je me penchai et aussitôt, je fis un bond en arrière. Je reculai d’effroi devant cette terrible, cette inimaginable découverte. L’eau de mer avait la teinte et l’odeur du sang.

Je balbutiai à la jeune femme des mots inintelligibles. Elle ne m’écoutait plus. Sa beauté sombre et sépulcrale se montrait désormais indifférente à l’univers des hommes. Courbée dans une prière à la mer, elle semblait avoir quitté le monde des vivants. Je la laissai à son recueillement et remontai la plage en courant. La jeune femme avait raison. Tout cela est vrai, horriblement vrai.
On annonçait maintenant la couronne finale avant le début du feu d’artifice traditionnel qui était toujours prisé par un public conservateur, qu’agaçaient les spectacles originaux et insolites.

J’ai blotti ma tête dans les mains et j’ai essayé de faire le vide, de ne plus penser, d’imaginer que j’étais en proie à un délire, à une machination des sens déréglés par l’abus d’alcool. Hélas, je n’avais pas bu grand-chose. Je voulais fuir, me réveiller ailleurs, repousser les parois du cauchemar, mais j’entendais encore les cris rauques et affolés de la jeune femme et je sentais sur mes doigts le parfum fade et visqueux du sang.

Des applaudissements nourris et enthousiastes saluèrent la fin imminente de la rétrospective picturale.

Et je me pris à méditer anxieusement : savent-ils, tous ces hommes, mes voisins de la plage ou ceux des terrasses, peuvent-ils savoir que ces peintures si vives, si étrangement réalistes ont été exécutées dans la chair de dizaines de condamnés. Ou bien s’en accomodent-ils comme d’un moindre mal ? A l’opposé des exécutions sombres et épouvantables d’autrefois avec leurs autodafés et leurs guillotines aux ciseaux coupants, et démodant les injections mortelles ou les pendaisons des temps barbares, de telles mises à mort ne manquaient pas d’atouts à faire valoir : l’éducation artistique des masses n’y trouvait-elle pas un inattendu soubresaut et le frisson supplémentaire propre à marquer les mémoires des plus oublieux ? N’avait-on pas de la sorte sacrifié de nombreux animaux dans des installations prestigieuses d’artistes contemporains, sans que personne n’y trouvât à redire ? Les arts ne faisaient que rejoindre les sciences !

Et puis l’opinion publique, du moins ce que l’on nomme ainsi, cette sorte de monstre arithmétique impalpable qui a opinion sur tout, si elle peut s’émouvoir de la sauvagerie des mises à mort, de leur cruauté, de leur froide et inhumaine mécanique est dans une certaine mesure épargnée par ces élégantes exécutions qui respectent la délicatesse et la fragilité des publics. N’a-t-on pas sermonné à l’opinion que tout écart à la règle, à la Loi, si minime, si futile soit-il, est un accroc à l’hygiène collective des peuples, qui du coup, cherchant dans leurs antiques manières de vivre des crimes et des fraudes, s’épient, se surveillent, parfois se dénoncent ? Je jetai un coup d’œil circulaire aux hommes des terrasses et de la plage. Personne ne semblait décontenancé ou honteux. Que faisais-je moi-même en ce lieu vaniteux où l’exécution ignominieuse des condamnés avait atteint une telle intensité, un tel rayonnement de beauté macabre ?

L’homme n’est pas simplement un loup pour l’homme, pensai-je. L’homme n’aime plus l’humanité. Il cherche par tous les moyens à s’en émanciper. Je ne sais pas s’il désire vraiment l’immortalité ou s’il rêve fugitivement de l’acheter comme on va faire un plein de provision dans les grands magasins. Il ne croit pas à une immortalité héroïque ou divine. L’homme, chacun de nous, a simplement peur, peur de mourir, peur de quitter la terre alors que les autres restent là, plus longtemps, plus injustement. Si on lui offre des vies plus longues, si l’hygiène de tous accroît le potentiel de vie de chacun, alors il consent à se discipliner, à brider sa violence, son dégoût, ses colères. Il se range parmi les autres, presque indifférent, spectateur épuisé de la destruction des hommes lointains, songeant mélancoliquement et avec une joie pâle et indicible à la fin du monde. L’homme n’aime plus l’humanité.

L’homme ne respecte plus Dieu ou la Création dans le visage du voisin. Il déteste dans son voisin cette lourdeur de traits, ingrate, obèse ou flétrie, qui s’acharne à survivre, à durer ; il déteste ses manies, sa précipitation, sa docilité ou sa rage feinte, sa présomption de créature éphémère qui a un faible pour les durées infinies. Si l’homme, le glébeux a été créé à l’image de Dieu, selon sa ressemblance, comme son exacte réplique, ainsi qu’il est dit dans la Genèse, alors quelle gueule a Dieu ? Cette question ne manquait pas de me faire sourire, chaque fois que je pensais à la face de l’Eternel contemplant avec effroi, et comme une terrible blessure narcissique, ses créatures terriennes. Du reste, Il s’était employé à les raser de la surface du Monde, mais quelques justes avaient eu raison de Sa colère et Dieu passait le reste de sa vie à fuir le monde où ses reflets, ses images lui causaient un si amer et violent dégoût de Lui-même. Et les plus grossiers ennemis de Dieu, ceux qui Lui rappelaient à longueur de journée sa méprise et le contraignaient à un long exil, n’en finissaient pas de causer des malheurs aux autres hommes en scandant Son nom à tout bout de chant et en suivant à la lettre Ses décrets. Dieu n’avait pas d’autre choix que la fuite. L’homme n’aime plus l’humanité ! répétais-je intérieurement. Sinon, comment laisserait-il faire ces exécutions grotesques, comment peut-il les regarder comme une distraction amusante et éducative ? Je devais en tenir compte pour mon intervention au colloque. Le principe de précaution qui régissait les mœurs dans de très nombreux domaines s’arrêtait à la porte des prisons. La pendaison d’un homme au pénitencier, dans le silence complice d’une sale aurore, passait pour un acte de barbarie sociale, le retranchement brutal et infâme d’une vie humaine. Mais ici, on mourait en beauté, en serviteurs des plus nobles élévations de l’esprit, en fulgurantes images de l’Art offertes à tous. Je songeai au mot d’Imre Kertesz : Des rubans sur la hache des bourreaux…

Alors que je m’efforçais de comprendre la prouesse technique qui avait permis de lancer dans le Ciel des compositions humaines si complexes et abouties, je vis mes voisins replier leurs chaises de plages et leurs journaux.
Une animation bruyante et confuse avait saisi les gens de la plage qui se hâtaient en chœur de plier leurs affaires de bain. Le vent s’était levé et par bourrasques d’abord brèves et claquées, puis de plus en plus soutenues et violentes, soulevait des nuages de sable. J’abritai mes yeux derrière une serviette. Les tentes arrachées de leurs piquets volaient comme des oiseaux affolés sur la plage que fuyaient maintenant dans une cohue anarchique les spectateurs dociles et attentifs de l’exécution. Un avis de forte tempête circulait dans les haut-parleurs et recommandait aux gens de se mettre rapidement à l’abri.

Alors, je la vis grossir peu à peu, comme un monstre surgi des abysses. La vague, une vague énorme, haute comme des gratte-ciel, charriant sur sa crête ondulante et rouge les corps déchiquetés des trépassés. Une immense vague de sang prête à déferler sur la ville et à aspirer en ses entrailles son tribut, cette masse de corps encore mobiles et paniqués qui se bousculaient en tous sens. La vague enflait toujours. Elle avançait lentement, sûre d’elle-même, confiante en sa justice de vague qui roule, se brise et se retire au loin avec ses milliers de noyés, sa nourriture des tempêtes. Je ne pouvais plus bouger. La mer rouge me faisait face. Je serrai instinctivement mes notes sur la conférence du lendemain comme si elles m’accrochaient encore à un avenir, à un lendemain ordinaire et serein. Mais la vague approchait, gigantesque mur d’eau souillée de sang qui roulait, dédaigneuse et impitoyable, sans jamais se casser vers la grève. Elle avait le temps !

La vague, la vague… La mer dressée dans une colonne d’eau gigantesque arrivait. Je sentais son souffle de fauve, sa gueule grande ouverte et affamée…

Non, tout cela n’est qu’un cauchemar, réveille-toi, réveille-toi. Tu n’es pas sur la plage. La vague de sang n’existe pas. Un simple rêve !..
Nous avons le plaisir d’accueillir le docteur… je crus entendre mon nom…, qui va nous parler des dérives et des vices du principe de précaution dans les urgences vitales. Docteur, c’est à vous. Mais je ne bougeai pas. J’avais sans doute égaré mes notes sur la plage quand la vague s’est levée. Je ne me sentais pas du tout en état de parler d’un tel sujet. Je n’en comprenais pas le sens. Je devais me lever, dire quelques mots, faire semblant d’avoir là-dessus une opinion fondée et éclairante. Mais la jeune femme qui baignait sa douleur dans les flots rouges se tenait encore près de moi, pareille à Andromède qui attendait, ligotée à son mât, la venue du monstre marin.

Je crus entendre une nouvelle fois mon nom, était-ce mon nom, qu’un micro inamical amplifiait avec des accents de remontrance et de mise en demeure. Et une nouvelle fois, on cita publiquement mon nom et le titre de mon exposé.
Je ne bougeai pas, la jeune femme non plus. Les corps des suppliciés du Tres de mayo naviguaient comme des épaves de bateaux grignotées par le sel sur le faîte de la grande vague.

C'est à vous, il faut y aller, semblait dire une voix proche et bienveillante ; mais je ne pouvais quitter les yeux de la muraille d’eau rouge qui déferlait lentement, lentement sur notre plage et engloutirait prochainement la cité et ses conférenciers. Personne ne la voyait. On dissertait doctement, imbécilement sur le principe de précaution et chacun détournait sa face du désastre imminent.
Maintenant je la voyais de haut, la vague rouge, maintenant que j’étais suspendu au filin d’acier du dernier tableau, très haut, dans l’obscurité étoilée de la nuit et que c’était à mon tour de finir en beauté, en artiste… en hommage éviscéré à la grande peinture. On m’avait muni d’un grand bâton tout comme l’autre homme en face de moi, que je ne connaissais pas, amarré à un autre cordage métallique. Nous échangions des coups, monstrueux énergumènes d’un duel qui nous enlisait plus profondément dans la moite noirceur du ciel. Quand nous fûmes projetés vers la mer, sous l’aveuglante clarté des projecteurs, nous nous frappions encore, machinalement, autant pour nous protéger des lumières féroces qui fouillaient nos silhouettes que par souci de parer les attaques de l’ennemi. Ennemis ? Dans quelques secondes, nos corps volatilisés nourriraient comme des vers la vague rouge qui enflait. Ennemis ? Qu’avions-nous fait ?

La couronne finale. Je faisais partie de la couronne finale. Un honneur, un privilège, tout comme m’avait distingué parmi d’autres confrères aussi compétents l’invitation au colloque. Nous sommes des monstres ! J’entendis la voix de la jeune femme au moment où mon corps heurta la muraille d’eau rouge. J’eus l’impression d’être pareil à ces petits poissons qui disparaissent dans le ventre insatiable des requins et je songeai que, chaque heure, chaque jour qui passent, les monstres alimentent, fortifient, nourrissent la vague qui me noie…

26 avril 2006

On ne voit rien du tombeau, des horreurs de la mort, mais on a le désir infini de se mêler à la tristesse attirante des choses.

Triumph of Death, Peter Brueghel, 1562.



Le choix de la mort

«C'est ainsi que, dans la tragédie, nous voyons les natures les plus nobles renoncer, après de longs combats et de longues souffrances, aux buts poursuivis si ardemment jusque là, sacrifier à jamais les jouissances de la vie, ou même se débarrasser volontairement et avec joie du fardeau de l'existence.»

«La tragédie détourne l'homme de ce Vouloir-vivre primitif par «la représentation d'une grande souffrance.»
Le suicide est un défi. Un défi posé tant au sens commun, soucieux de retarder l’échéance, qu’au sens moral, pour qui la vie est un bien sacré. C’est aussi un affront social : devant le suicidé, la communauté se sent quelque peu coupable de n’avoir pu dissuader le suicidaire, ou du moins, de n’avoir pu lui assurer ce bonheur béat dont le commun se contente jusqu’à la mort naturelle.
Acte de violence, le suicide ébranle nos certitudes et nous met face, malgré nous, à la question lancinante du sens de notre vie et de notre mort. La philosophie est l’apprentissage de la mort, assurait Montaigne, à la suite des stoïciens. Avec Cioran, j’affirmerais volontiers que la pensée suicidaire aide à supporter la vie : au plus profond de mon malheur, je sais qu’il me reste toujours la liberté d’en finir. Ce geste, je le reporte d’heure en heure, tout me sachant libre de décider de sorte que jour après jour, année après année, je parcours tranquillement mon chemin vers mon destin. En tout état de cause, la pensée du suicide - comme possibilité d’achèvement d’une vie accomplie - m’accompagne et me soutient à sa manière, comme un aiguillon de la pensée. Elle est une incitation à remettre au chantier le travail nécessairement inachevé du sens.

Mais cette liberté du suicide est-elle réelle ? En considérant le geste lucide du suicidaire qui, en dehors de toute pathologie, achève délibérément sa vie, nous serions enclins à voir en lui le héros d’une lutte implacable contre le destin. Après tout décider librement de l’heure de notre mort n’est-il pas la meilleure manière d’affirmer notre humanité ? La bête, elle, obéit à l’instinct de conservation, l’homme quant à lui, peut le contrôler et s’offrir délibérément à la Faucheuse. Le suicide serait donc le dernier geste libre possible, l’ultime révolte contre le destin.

Mais pour penser la liberté du geste suicidaire nous devrions tenter de définir cette notion de liberté. Cette dernière est indissociable de l’existence dans laquelle elle y introduit une part d’indétermination, de contingence. L’acte libre est l’acte qui aurait pu ne pas être. Mais la contingence ne suffit à pas à cerner la totalité de la liberté. Nos actes sont libres mais ils ne sont pas aléatoires, du moins nous l’espérons. Se livrer au hasard est d’ailleurs l’indice d’une démission de la volonté : on joue à pile ou face lorsque l’on ne veut décider et l’on s’en remet à ces causalités indicernables qui déterminent la retombée de la pièce. L’acte libre garde donc tout au moins une part de rationalité. Certes on pourrait penser que la liberté totale serait accomplie dans une gratuité du geste échappant à toute rationalisation consciente, mais cette irrationnalité même peut prendre sens dans une économie des pulsions et de l’inconscient.

Il faut penser la liberté dans ses connections avec la donation du sens.
Tel qu’il nous est donné, le monde peut apparaître comme une succession d’événements contingents, dont la causalité n’est pas immédiatement intelligible. L’appréhension du monde, que le sens commun donne pour être une reproduction mentale des événements, est en fait une reconstruction cognitive, une donation empirique de sens, dont on ne peut même plus être certain qu’il repose sur des a-priori catégoriques... Le vivant met en oeuvre une stratégie de survie, de reconnaissance et de prévision des événements, à travers l’expérience de la corrélation, des liens de causalité lui permettant d'opérer les déductions nécessaires à la préservation de soi.

Un état de liberté totale supposerait que l’acte non encore accompli soit contingence pure ; qu’il puisse à chaque instant ne pas être signifie qu’aucun lien de causalité, donc de nécessité, ne puisse être établi d’un événement à l’autre.
Le monde devient, en même temps que notre vie, chaos... mais le surgissement de l’aléatoire signifie-t-il autre chose qu’une méconnaissance des chaînes causales, qui deviennent, à notre échelle, imperceptibles ? Affirmer que tel jeu relève du hasard revient en fait à reconnaître notre incapacité, du fait des limitations de notre corps et de ses prolongements techniques, à percevoir, appréhender, calculer l’infinité des déterminations qui lient l’événement initial à sa conséquence. Le jet de dés est, à l’échelle infinitésimal, un acte de pure déterminisme mécanique, il n’empêche que les dés symbolisent toujours le hasard. Ainsi donc ce qui peut paraître pure contingence et nous donne l’illusion de la gratuité de nos gestes efface la conscience de ces déterminations plus imperceptibles qu’inintelligibles.
Le suicide comme acte libre est donc illusion... le monde dicte sa loi, et dans le monde, le corps - notre corps - impose son fardeau. Admettons cependant que ledit corps fait acte de résistance. A laisser libre cours à l’aléatoire brownien de nos particules, nous serions réduits à témoigner par la décomposition de notre cadavre de la validité universelle de la seconde loi de la thermodynamique... tout ce qui ne résiste pas au chaos meurt et cette résistance requiert cette énergie que le vivant puise dans la matière et la lumière.

Loin d’être une ouverture béate à la physis, l’être-au-monde - le Dasein - se ramasse sur lui-même dans un mouvement constant de résistance à l’altérité. L’autonomie du corps conscient requiert cet effort ininterrompu, elle résulte d’un combat inégal qui nous met en prise à la fois à la physis et au temps. Notre rapport au monde est un enracinement, par lequel nous puisons au coeur de la matière à la fois le matériau et l’énergie qui permet à notre corps d’acquérir et de conserver son autonomie. Mais l’autonomie du vivant, que l’on assimile à une production de soi, rencontre par ailleurs la physis comme obstacle : si le monde nous fournit le terreau de notre vie, il oppose à notre homéostasie son inertie et sa négativité. Illusion que celle d’une liberté absolue, qui ne s’appuierait que sur elle-même.

Si l’on considère la liberté comme étant la capacité de déterminer ses propres actes, on est bien forcé d’admettre que cette liberté se réduit à la connaissance des actions possibles. La maîtrise de soi requiert à la maîtrise du monde ou du moins la capacité d’user du monde en fonction de ses besoins propres. Ce qui suppose une relation frontale avec le réel, un rapport d’interdépendance mêlée étroitement à l’autonomie rendue possible par la conscience du monde et la conscience de soi. La liberté se conjugue donc avec l’aliénation. Certes non avec l’aliénation totale, qui dépossède du monde et de soi - précisément cette aliénation à laquelle succombe le suicidaire voulant y échapper - mais avec cette négativité réciproque qui conditionne à la fois notre étance et celle du monde, celle d’autrui.
L’altérité du monde est le miroir ou l’écho de notre propre altérité, ainsi nous inscrivons notre existence dans le champs clos de notre finitude dont la conscience se conjugue avec celle de la temporalité, de l’historicité de nos actes inscrits dans le réseau resserré de nos mémoires et de nos anticipations, et avec cette lancinante interrogation : pourquoi continuer à vivre ? Si la mort nous apparaît inéluctable, la vie - notre vie - est pure contingence et, avec cette contingence, surgit le sens de la vie, non pas comme solution, mais comme problème. L’être conscient de sa finitude se soucie donc, de lui-même, du monde, de son destin, de la mort : la pensée du pourquoi-vivre se poursuit dans celle du pourquoi-ne-pas-mourir. Le suicide, alternative de chaque instant, émerge comme le lieu géométrique de notre souci de l’être en tant qu’elle manifeste au coeur de notre présence au monde la négativité essentielle de notre existence.

En toute liberté, nous ne pouvons pas ne pas être. L’existence nous est donnée et non décidée. Ce constat se trouve être à la base de la condamnation morale du suicide selon laquelle la liberté humaine ne peut outrepasser le devoir de suivre jusqu’au bout le parcours qui nous est assigné. Il n’est pas de mon propos de réitérer un tel jugement : à mes yeux, si le suicide pose effectivement un problème moral, notamment celui de la responsabilité face aux survivants, il échappe, par sa nature, à toute condamnation que l’on ne pourrait porter qu’aux vivants.

Le choix d’une mort volontaire n’est pas insensé, il a sa raison d’être, que l’on peut chercher dans un état du corps, une disposition physiologique qui altère notre vouloir-vivre. C’est en l’occurrence en l’explication médicale, neuro-psychologique, que l’on pourra trouver une réponse. Dans cette perspective, l’acte suicidaire ne peut être libre puisqu’il résulte d’une détermination physiologique, un état cérébral, indépendant de notre volonté. Est-ce dire que le suicidaire, ou plus généralement, le dépressif tenté par la mort volontaire, ne dispose d’aucune liberté ? L’aboulie, pour être traitée, requiert la présence d’un tiers, de l’autre qui, en réponse à l’inertie que nous manifestons, formule l’injonction thérapeutique. Le malade recouvrera son autonomie, éventuellement par le biais d’un traitement médicamenteux capable d’agir sur les fonctions cérébrales, à l’instar d’un esclave qu’autrui libère de ses chaînes... Il est vain dans ces circonstances de parler de liberté, voire de volonté, en la circonstance : la libido moriendi n’est qu’une des multiples formes des servitudes qu’imposent la maladie au corps. Mais le suicide qui nous préoccupe ne relève pas de l’état dépressif, il est supposé libre, lucide et volontaire. Il y a pourtant un paradoxe fondamental : si l’action médicamenteuse involontaire permet à l’aboulique de recouvrer son autonomie, l’acte suicidaire volontaire entraîne quant à elle la perte de cette autonomie.

C’est une illusion de penser le suicide comme une rupture de contrat : entre le monde et moi, il n’est aucune convention, qui ne peut exister qu’entre partenaires libres, autonomes et égaux. Or, entre le monde (qui nous englobe et que nous englobons de notre conscience) et nous, il ne peut qu’ un jeu de déterminations réciproques, un lien physique dont il faut connaître les lois, pour s’en jouer et déjouer les ruses du monde.
En fait le suicidaire n’agit pas, il baisse sa garde, éventuellement en retournant contre lui les armes qu’il dressait contre le monde. Le suicidaire se donne ainsi au monde acceptant, délibérément, sa défaite absolue. Perdant son autonomie, se fait monde, devient partie intégrante de la physis, se dissous dans la totalité. On ne peut plus, parler en l’occurrence, de liberté puisque à ce face-à-face où se dessine la conflictualité des échanges matériels, énergétiques et informationnels rendue possible par l’altérité, se substitue l’identification totale à la physis, à avec elle, la dissolution du moi.

Il est cependant une objection possible : l’autonomie du vivant, notre identité, notre volonté, notre vie elle-même en ce qu’elle nous aliène du monde, serait illusion. En renonçant à vivre, on abolirait cette vanité pour pénétrer dans cet au-delà supposé seul valoir la totalité d’une vie. Il est vain de répondre à cette objection parce que de son fondement, le concept d’au-delà, il est impossible de rien savoir. La sortie de l’existence débouche en tout état de cause sur l’inconnu, et plus que probablement, sur rien dont nous puissions dire quelque chose. Ce n’est certes pas la souffrance infernale qui attend le suicidé, ni même le paradis ; seul le silence pour l’éternité l’accueille, c’est à dire l’abolition de toute souffrance, de toute illusion, de toute conscience aussi... la réalité du monde, quant à elle, reste, mais pour les vivants...

Der Pessimist ist ein Mensch, der sich über schlechte Erfahrungen freut, weil sie ihm Recht geben...

La Fragua, Francisco de Goya Y Lucientes, 1819.




Der Pessimismus


Ist die Lebensanschauung von der unverbesserlich schlechten Welt. Pessimisten erwarten ein böses Ende . Die unheilvolle Zukunft vor Augen, halten sie jeden gegenwärtigen und vergangenen Stand der Dinge für unheilschwanger, mag er auch noch so gutartig erscheinen. Die dem Pessimismus entgegengesetzte Weltanschauung ist der Optimismus.


Erscheinungen des Pessimismus

Im Wirtschaftsleben pflegen sich optimistische und pessimistische Stimmungslagen (Geschäftsklimata) abzuwechseln, etwa in Abhängigkeit von Konjunkturzyklen. An der Börse kommt grundsätzlich jeder Handel mit Wertpapieren dadurch zustande, dass ein optimistischer Haussier („Bulle“) und ein pessimistischer Baissier („Bär“) miteinander ins Geschäft kommen.
In den Religionen wird die pessimistische Stimmung meist durch die optimistische dominiert. Zu den Ausnahmen gehörte der Parsismus, der außer dem göttlichen Prinzip ein gleich ursprüngliches und mächtiges Gegenprinzip annahm (Dualismus), so dass der Ausgang des Kampfes zwischen Gut und Böse bis ans Ende aller Zeiten völlig offen ist.


Pessimismus in der Philosophie

Mit seinem Hauptwerk „Die Welt als Wille und Vorstellung“ von 1819 begründete Arthur Schopenhauer einen radikalen metaphysischen Pessimismus. In seinem Grundsatz „Alles Leben ist Leiden“ sah er sich durch östliche Weisheitslehren, besonders im Buddhismus, bestätigt.
Im philosophischen Denken des 20. Jahrhunderts erhielt der Geschichtspessimismus ein großes Gewicht.
Kurz nach dem Ende des Ersten Weltkriegs sorgte Oswald Spengler mit der Schrift „Der Untergang des Abendlandes“ für Aufsehen . Spengler sah in der Weltgeschichte vergleichbare Schicksale der großen Kulturen: Wie ein Lebewesen durchläuft jede dieser Kulturen eine Phase der Entwicklung, eine Phase der Reife und eine Phase des Niedergangs. Nach rund einem Jahrtausend versinkt jede Kultur wieder in der Bedeutungslosigkeit, aus der sie einst hervorkam. Die 1000 Jahre der europäisch-westlichen Kultur sah Spengler in seinem Jahrhundert sich ihrem Ende nähern - vor allem wegen dieser Prognose wurde „Der Untergang des Abendlandes“ besonders zur Zeit der Weimarer Republik kontrovers diskutiert.
Weitere Geschichtspessimisten waren Theodor Lessing, Walter Benjamin und die „kritischen Theoretiker“ der Frankfurter Schule. Bedeutende Dokumente dieses Pessimismus von linksintellektueller Seite sind die „Dialektik der Aufklärung“ von Max Horkheimer und Theodor W. Adorno sowie „Die Antiquiertheit des Menschen“ von Günther Anders.

21 avril 2006

Dio ci ha dato due orecchie, ma soltanto una bocca, proprio per ascoltare il doppio e parlare la metà.

Adorazione dei Magi, Sandro Botticelli, 1475.




L'uso estremamente comune della parola creatività crea problema e imbarazzo. Essa, infatti, non possiede un significato chiaro e univoco, è una voce impiegata in molteplici contesti anche a scopi difformi. Melucci, rilevando un'interessante trasformazione nell'uso di tale termine nota infatti che: "La parola creatività compare nei dizionari alla fine del secolo scorso, ma rimane confinata al linguaggio degli specialisti".Su un altro versante, però, lo stesso autore fa notare che oggi la parola creatività e l'aggettivo "creativo" ricorrono di sovente nell'uso non specialistico della conversazione quotidiana.

Se poi ci si riferisce alle teorie e alle ricerche sulla creatività, in senso stretto, si può scoprire che il significato e l'impiego plurimo del termine non scompare. A questo proposito Trombetta, ad esempio, sostiene che "nel descrivere la creatività e nell'analizzare i processi psicologici che la sostengono e la esplicitano, ci si può riferire... o al pensiero creativo o alla persona creativa", ma che la ricerca psicologica è ricchissima di "sfaccettature" e di "angolature", con cui è possibile affrontare anche uno solo di questi temi.

Dunque cosa significa creatività?

Il dizionario ne offre una duplice definizione: come capacità, facoltà, attitudine a creare; come attività, operosità dinamica, forza costruttiva...la definisce come la capacità di creare, di inventare con libera fantasia.

Creare, costruire, inventare e agire liberamente sono quindi le proprietà di chi opera con creatività: il creativo". Gli stessi dizionari, infatti indicano la parola creatività come derivante da creativo, colui che crea.

Creare

Creare era in origine un'azione che poteva vedere come sola causa incondizionata Dio: "Che l'uomo potesse essere creativo nel pensiero e nell'azione era considerato blasfemo fino a qualche secolo fa". Questa attribuzione però rappresenta solo un momento del rapporto complesso che ebbero le società verso artisti e individui geniali. Le diverse culture, infatti, reagirono al fare degli artisti in modi differenti, così, ad esempio, si ha da una parte l'atteggiamento di diffidenza e quasi disprezzo del mondo greco e romano, in cui "l'opera dei pittori e degli scultori in quanto lavoro manuale, ... era lasciato, in un'economia schiavistica ai membri della classe servile"o comunque si riteneva, su influsso dell'estetica platonica, che l'arte potesse "fornire solo un vago riflesso della vera essenza della realtà, le idee, che essa tenta di riprodurre, per così dire, di seconda mano". Ben diversa la glorificazione del genio nell'età rinascimentale, in cui "l'artista fu personalmente onorato come un essere divino".


Le diverse attribuzioni di valore fatte agli artisti, che portano da una parte a paragonarli a semplici artigiani dall'altra a divini creatori, riflettono e sono in relazione anche alle molteplici spiegazioni che nelle epoche si diedero al sorgere dell'idea. Attualmente, si tende ad attribuire a tutti gli individui la capacità di produrre atti creativi, imprevedibili e originali; ed esistono corsi e pubblicazioni il cui intento formativo è di svilupparli e moltiplicarli. Le tecniche sono molteplici così come lo sono gli approcci e le definizioni; ma la creatività non è più blasfema, o eccezionale, non sfida più la collera divina, anzi è patrimonio molteplice che viene cercato e sviluppato al fine di una miglior economia individuale e sociale.

La creatività è perciò sempre più oggetto di formazione, le pubblicazioni in commercio sono vendute nelle librerie qualificate come nelle edicole e si propongono come manuali di cambiamento; i corsi di creatività per adulti si rivolgono a un pubblico eterogeneo con diverse metodologie e approcci, sono tenuti anche da società di consulenza specializzate nella formazione a tecniche di creatività e sono indirizzati a individui, gruppi, aziende.


Due sono i presupposti culturali comuni a queste pubblicazioni e scuole:

Il primo è che la creatività è considerata una qualità presente in tutti,
Il secondo è che tale qualità può essere migliorata e sviluppata.


La creatività è considerata quindi un elemento quotidiano nella vita degli individui, parte sostanziale della loro natura, risorsa fondamentale a cui attingere nelle diverse occasioni della vita e del lavoro. Da qui il valore attribuito a tutti gli sforzi per rendere più creativi il comportamento, il pensiero, nonché l'impegno allo sviluppo e alla stimolazione di tutte le potenzialità individuali.
In sintesi, la creatività oggi esprime un valore positivo che si esplica nei diversi ambiti attraverso la ricerca di un miglioramento che passa, appunto, dallo sviluppo delle capacità creative, e i cui scopi possono essere i più disparati come migliorare la qualità della vita, le capacità professionali, lo studio, le capacità ideative.
I luoghi della creatività e la formazioneLa molteplicità della nozione di creatività riguarda anche il campo formativo. Nei luoghi di esercizio della creatività "socialmente riconosciuta" come tale (scuole di teatro, musica, di realizzazione artistica e poetica, di ricerca e invenzione) la messa in atto di un'arte, di una tecnica o scienza è favorita dalle qualità creative individuali o collettive. Grazie ad esse tali arti trovano respiro e stimoli nuovi, d'altra parte proprio l'esercizio di tali arti è terreno favorevole allo sviluppo e incremento della caratteristica creativa nelle sue diverse modalità espressive: in sostanza, vi è una reciproca influenza tra lo sviluppo della creatività e lo sviluppo delle arti.

L'idea di creatività come atteggiamento mentale proprio (ma non esclusivo) degli esseri umani nasce nel Novecento. I primi studi sul fenomeno risalgono agli anni '20. Mentre in alcuni campi - la matematica, per esempio - la creatività sembra svilupparsi meglio in giovane età, in altri - letteratura, musica, arti figurative - continua per tutto l'arco della vita.
L'atto del creare è stato a lungo percepito come attributo esclusivo della divinità: Catullo, Dante, Leonardo, infatti, non avrebbero mai definito se stessi dei creativi. Propri dell'uomo erano invenzione, genio e, dal 1700, progresso e innovazione. La parola creatività entra nel lessico italiano solo negli anni '50.
Tra le moltissime definizioni di creatività che sono state coniate si segnala per semplicità e precisione quella fornita dal matematico Henri Poincaré nel 1929: "Creatività è unire elementi esistenti con connessioni nuove, che siano utili".
Le categorie di "nuovo" e "utile" radicano l'attività creativa nella società e nella storia.

Il "nuovo" è relativo al periodo storico in cui viene concepito; l'"utile" è connesso con la comprensione e il riconoscimento sociale. Nuovo e utile illustrano adeguatamente l'essenza dell'atto creativo: un superamento delle regole esistenti (il nuovo) che istituisca una ulteriore regola condivisa (l'utile). Si individuano anche le due dimensioni del processo creativo che unisce disordine e ordine, paradosso e metodo.

Infine, le categorie di nuovo e utile ampliano la sfera delle attività creative a tutto l'agire umano a cui sia riconosciuta un'utilità economica - estetica o etica - e che sviluppi uno dei tre possibili gradi di novità: applicazione nuova di una "regola" esistente, estensione di una regola esistente a un campo nuovo, istituzione di una regola del tutto nuova.
Poiché si fonda sulla profonda conoscenza delle regole da superare, la creatività non può svilupparsi in assenza di competenze preliminari. Caratteristiche della personalità creativa sono curiosità, bisogno d'ordine e di successo (ma non inteso in termini economici), indipendenza, spirito critico, insoddisfazione, autodisciplina.

La creatività è espressione tipicamente umana perché si fonda anche sul possesso di un linguaggio a volte astratto (fatto però di parole, numeri, note musicali) e atto a compiere discriminazioni sottili. Ma non è espressione esclusivamente umana. Molte specie di mammiferi, in particolare i Primati, ed alcune specie di uccelli hanno intuizioni creative riuscendo anche a trasmettere soluzioni altrettanto creative alla prole.

Le fait tragique peut s'identifier à un malheur inoui.

King Lear, Benjamin West, 1788



Benjamin West, King Lear, 1788

«Pour le vrai poète, la métaphore n'est pas une figure de rhétorique, mais une image substitutive qu'il aperçoit réellement à la place de l'idée. Pour lui, le personnage imaginaire n'est pas un tout composé de traits isolés accumulés, mais une personne vivante qui s'impose à lui et qui ne se distingue de la vision analogue du peintre que parce qu'elle continue perpétuellement de vivre et d'agir. L'émotion dionysiaque est apte à communiquer à une foule entière le don d'artiste de se voir environnéé d'une foule d'esprits auxquels elle se sent foncièrement identique. Ce phénomène du chœur tragique est le phénomène dramatique primitif, qui consiste à se voir métamorphosé et à agir désormais comme si l'on était vraiment entré dans un autre corps, dans un autre personnage; ici l'individu renonce à lui-même du fait qu'il se plonge dans une nature extérieure à lui. Et ce phénomène se produit de façon épidémique : une foule entière se sent en proie à cette métamorphose.»


«Le théâtre serait un exemple, plutôt une issue de l'éthique, en ce que c'est le discours de l'Autre, par définition, qui s'y livre. Alors que peut être le roman exprimerait plus volontiers, surtout depuis le malaise dans la civilisation, le discours du Je. Comme si on entendait sur le théâtre un discours qui ne serait pas du semblant, alors que le théâtre passe pour être le lieu par excellence du simulacre. Mais justement, l'essence fictionnelle de la vérité s'y avère», «Le théâtre est la pratique suprême de l'altruisme. Par un miracle de maîtrise de soi et de renoncement à soi que nous ne pouvons saisir que confusément, le poète dramatique crée des personnages vivants dont l'intensité de vie est exactement proportionnée à leur «autreté», au fait qu'ils ne sont pas des images, des ombres ou des échos de l'auteur lui-même. Certes, la création d'un personnage dramatique a un rapport avec le génie personnel de l'auteur ; mais nous ne savons pas réellement quel rappport. Les personnages sont peut-être, dans la psyché, ces parties d'ombre ou de vie indépendante que le poète ne peut pas intégrer à sa propre personne. Ils sont des cancers de l'imagination, réclamant avec insistance leur droit à vivre en dehors de l'organisme qui les a engendrés (combien de temps un homme pourrait-il supporter d'avoir un Œdipe ou un Lear enfermé en lui ?).»

17 avril 2006

They also serve who only stand and wait.

The Little Babel, Pieter Brueghel, 1563.





In writing Paradise Lost, Milton drew on an immense reserve of biblical, classical, and other learning. Yet many of those who read and admired Milton's poem in the next two centuries were not learned; Paradise Lost was often one of the very few books found in British and American households. While it is clearly possible to enjoy Paradise Lost on its own, how necessary is an understanding of Milton's learning and his sources to an informed appreciation of the poem? How, if at all, has reading the texts gathered on this Web site changed your way of reading Paradise Lost?
Paradise Lost recounts the same events described in Genesis 1–3, yet it is many times longer. Milton both expands upon the events of Genesis and incorporates material from other sources or his own imagination.

How far does Milton rely on Genesis, and which elements of his narrative have no basis in Genesis? What might account for Milton's inclusion of these episodes? (Choose one and analyze it in depth.)
Does Milton see himself as another Moses, divinely inspired to add to the biblical text?
Paradise Lost may be seen as belonging to a long tradition of Genesis commentary, while differing on many points of both style and substance.

How closely does Milton's representation of work, sex, emotions, the nature of man and woman, and other aspects of human life in Eden before the Fall correlate with the views of Augustine, Calvin, and Speght?
Why does the Fall happen, and is God at all responsible for it, according to the earlier commentators and according to Milton?
Does Milton's account of these matters in Christian Doctrine accord with the poem?
Compare Rachel Speght's and Aemilia Lanye's accounts of Eve's personality and her culpability in the Fall with Milton's accounts.

Do Speght and Lanyer agree with Milton on any points?
To what extent does Milton fall among the ranks of commentators on Genesis opposed by Speght and Lanyer? To what extent does he anticipate their objections?
What resemblances and what differences do you find between the representation of the Fall in Du Bartas's Divine Weeks and Works and in Milton's poem?
In describing the creation of Eve, Milton drew on the story of Narcissus told in Ovid's Metamorphoses.

In what particular respects does Eve's story of her creation resemble or refer to the myth of Narcissus? How does reading Ovid change your understanding of Eve's personality, if at all?
Is Eve, in the story of her creation and later, "narcissistic," according to Sandys's moralization of the Narcissus story or Freud's psychological theory? Which of these versions of narcissism seems more useful in shedding light on Milton's poem, and why?
On his trip to Italy in 1638–39, Milton may have seen a number of remarkable Renaissance paintings and tapestries portraying episodes from Genesis.

What similarities do you perceive between Milton's evocations of Adam and Eve, the Edenic garden, the Fall, and the Expulsion and the pictorial representation of these individuals and events by Veronese, Cranach, Dürer, the maker of the Medici Tapestries, and Masaccio?
Which of these images seems closest to Milton's imaginative portrayal, and what is your basis for making this judgment?
As revealed in The Reason of Church Government Urged Against Prelaty, Milton had long considered the composition of an epic poem based on British history and modeled on the works of Homer, Virgil, and Tasso. Yet by the time he came to write Paradise Lost, his chosen theme and his relation to the epic form had altered considerably.

How does Milton undertake to reconceive the epic subject?
How does he reconceive the epic poet's relation to his muse?
Milton seriously considered composing an epic based on the life of King Arthur. Do the materials on Arthurian literature gathered in the Middle Ages section of this Web site help you to imagine what that epic might have been like, why Milton was attracted to this theme, and what led him to reject it?
Like the classical epics of Homer and Virgil, represented here in modern translations, Paradise Lost is written without rhyme. Yet most early modern translations of Homer and Virgil, such as Chapman's Odyssey and Dryden's Aeneid made use of rhyme, a device Milton attacked in his note on The Verse of Paradise Lost.

Do you find Milton's objections valid in respect to these rhymed translations?
Do these rhymed translations sound and feel more or less "classical" than modern ones? Why do you think this is?
Paradise Lost includes one striking instance of rhyme, at the moment Eve takes the forbidden fruit: "Forth reaching to the fruit, she plucked, she eat. / Earth felt the wound, and nature from her seat . . .". What, in view of the significance of Eve's act, and Milton's comments on rhyme, might explain this startling couplet?
Published in the second edition of Paradise Lost, Marvell's commendatory poem is the first important evaluation of Milton's epic.

What elements of Paradise Lost especially impress Marvell? What doubts does he express, and do you find any justification for them?
Compare Marvell's critique with the later comments of Joseph Addison and Samuel Johnson. What do the comments of these later writers reveal about the reputation and influence of Paradise Lost in the eighteenth century? What cultural and aesthetic concerns do they bring to their reading of the poem, and how do these differ from those which occurred to Marvell?
To Romantic poets such as Blake, Shelley, and Byron, Satan could be seen as the true hero of Paradise Lost. The Satanic/Byronic hero had an enormous impact on nineteenth-century literature and continues to influence our way of reading Paradise Lost.

Is there anything in Milton's sources, or in the events of his own life, which could have suggested the idea of Satan as hero? Is there anything to suggest that Milton consciously intended such a portrayal?
Is it conceivable that a man of Milton's learning and reflectiveness could have been, as Blake claims, "of the Devil's party without knowing it"?
To what extent do Blake's and Shelley's comments on Satan's character accord with your own response to the first two books of Paradise Lost? If you have seen Satan as a hero, are you "of Blake's party without knowing it"?

Paradise Lost in Context.

The Fall of Rebel Angels, Peter Bruegel, 1558.



Milton's great epic (1667) is built upon the stories and myths — in the Bible and in the classical tradition — through which Western men and women have sought to understand the meaning of their experience of life. Attention to some of these materials and to the ways in which Milton draws upon, and departs from, other versions and interpretations of those stories will enrich the reading of his poem.

The foundation story, of course, is the Genesis account of the Creation of the world and of Adam and Eve, culminating in the drama of their temptation and Fall. By Milton's time, the seventeenth century, that story had been reformulated in many translations in many languages and had accumulated many centuries of interpretive commentary, Jewish and Christian. Milton, in undertaking an imaginative, poetic re-creation of that story, had necessarily to accept, revise, or counter the views offered by such influential commentators as Saint Augustine and the Reformation theologian John Calvin. He probably did not know Rachel Speght's commentary, A Muzzle for Melastomus, or Aemilia Lanyer's poem Eve's Apology in Defense of Women (NAEL 1.1285–87), but these texts provide the first examples of women turning Genesis commentary to feminist account. The various commentators' views — about Adam and Eve, about the Edenic garden, about prelapsarian conditions of life, about the Tree of Knowledge, about the nature of man and woman as created, about marriage as first instituted, and about the causes of the Fall — can be usefully compared to Milton's own analyses in his theological tract Christian Doctrine, which remained unpublished until the nineteenth century, as well as his poetic representations of such matters in Paradise Lost.

During his tour of Italy in 1639, Milton probably saw some of the numerous representations of aspects of the Genesis story in Renaissance paintings and tapestries. We do not know which ones he saw, but certain remarkable images may have stimulated his imagination. A representative sample is included here: Veronese's Creation of Eve, Cranach's Adam and Eve, Dürer's The Fall, two of the Medici tapestries presenting The Fall and The Judgement of Adam and Eve, and Masaccio's The Expulsion.

Milton's poem also draws on such repositories of classical myth as Ovid's Metamorphoses and other literary analogues. Ovid's narrative of the myth of Narcissus resonates throughout the story told by Milton's Eve about her first coming to consciousness. Two allegorical interpretations of the Narcissus myth — by Milton's contemporary George Sandys, the translator of Ovid, and by Sigmund Freud — may highlight how Milton reworks that myth. The poetic version of the Fall story in Guillaume Du Bartas's hexameral poem The Divine Weeks and Works provides another kind of literary analogue. In Joshua Sylvester's translation that work was extremely popular, and Milton certainly knew it. Finally, the epic tradition itself was a major literary resource for Milton: it is sampled here through the opening passages — propositions and invocations — of four epics central to Milton's idea of that genre: Homer's Iliad and Odyssey, Virgil's Aeneid, and Torquato Tasso's Jerusalem Delivered. Milton's epic proposition and invocation may be compared to these, and also Milton's defense of his better kind of tragic epic. Homer and Virgil did not use rhyme, and Milton scorned it in heroic poems as a "troublesome and modern bondage"; accordingly, the classical epics are represented here by modern unrhymed translations. Tasso did employ rhyme, as did his Elizabethan translator Edward Fairfax.

The first important criticism of Milton's epic was provided by his good friend the poet Andrew Marvell, in a commendatory poem published in 1674 along with the second edition of Paradise Lost. It invites comparison with later prose criticism by Addison and Samuel Johnson.

Responding visually to Paradise Lost are a set of engravings by John Baptist Medina that were included in the elaborate folio edition of Paradise Lost in 1688. Several of the Medina images, notably those included here, provide their own interesting interpretations of crucial scenes in the poem.

Le cas Paracelse (Physica Hippocratea)

Frontispice gravée sur cuivre en regard de la page de titre imprimée



Dans cette image, l’arbre est l’axe central qui sépare le ciel et la terre et les règnes végétal (à gauche) et minéral (à droite). En haut, passe Apollon, dieu de la Médecine, dans le char du Soleil. Il est entouré de six signes qui représentent à la fois des planètes et des métaux. En effet, dès la plus haute antiquité, un système hiérarchique de correspondances avait été établi.

L’introduction des sels d’antimoine dans les traitements provoqua un débat qui fit rage pendant un siècle à la Faculté de Médecine de Paris entre ses partisans (" spagyriques " ou " iatrochimistes ") et médecins conservateurs. On ne peut cependant le parer du titre de père de la chimiothérapie tant son système restait pétri de mysticisme et d’occultisme. Convaincu de la cohérence de l’univers, se référant à la Table d’Emeraude, attribuée à Hermès Trismégiste, Paracelse soutenait que " ce qui est en haut est de même nature que ce qui est en bas " (superius est sicus inferius).

De ce principe découlait la correspondance prétendue des sept métaux avec les sept planètes, censées influencer les activités des différentes parties du corps. Tout animal, tout végétal, tout minéral ressemblant à un organe ou à une maladie lui était associé selon une sympathie particulière : les fleurs jaunes pouvaient soigner la jaunisse, les terres rouges l’hémorragie, etc. Paracelse laissa une œuvre déroutante mais stimulante qui ne suscita jamais l’indifférence. Il eut de nombreux disciples.

Un arsenal thérapeutique immuable : le cas Paracelse.

La royalle chymie de Croll



De part et d’autre du titre, quatre médaillons ovales présentent les pères de l’alchimie : Hermès Trismégiste d’Alexandrie (le dieu Thot des Egyptiens, à qui l'on attribuait des traités philosophiques et alchimiques), Geber ou Djabir l’arabe (737-815), Ramon Lull l’espagnol (v. 1233-1315), et Paracelse (1493-1541). En haut, l’alchimiste en prières est éclairé par la lumière divine, entre son four et ses cornues. Il est à la recherche de la pierre philosophale, qu’on pensait capable de transmuer les métaux en or, mais aussi panacée universelle.
Le cercle du sommet se veut le résumé graphique de la théorie des correspondances entre le macrocosme de la Nature et le microcosme que constitue l’Homme.


Les éléments minéraux bénéfiques des eaux thermales avaient été vantés pour la première fois par un des personnages les plus controversés de l’histoire de la médecine, Théophraste Bombast von Hohenheim dit Paracelse (1493-1541). Tout au long de son existence picaresque de chirurgien militaire, voyageant dans toute l’Europe et obtenant parfois des guérisons miraculeuses, il s’attaqua violemment aux enseignements des Anciens, notamment à la théorie des humeurs et au principe du contraria contrariis, soutenant qu’on ne peut attendre une action efficace que des semblables. Sa propre doctrine n’était pas très cohérente, mêlant les théories alchimiques et astrologiques héritées du Moyen-Age à quelques intuitions géniales.
Un temps médecin des mineurs dans le Tyrol, il reconnut notamment les pouvoirs des métalloïdes. Mercure, soufre et sel, volontiers présentés comme le reflet de la Trinité divine, constituaient la base de sa pharmacopée, avec le plomb et l’antimoine.

Un arsenal thérapeutique immuable : thermalisme.

Responsa medica de probatione, facultate et usu acidularum ac fontium Schwalbaci susurrantium


Cet opuscule destiné à prouver l’intérêt thérapeutique des eaux de Saint-Schwabach en Bavière se distingue aussi par l’intérêt documentaire des vignettes de son frontispice.

L’eau est une autre ressource naturelle qu’utilisa largement la médecine : à partir du 16e s., le thermalisme connut une grande vogue dans toute l’Europe et de nets progrès furent faits par rapport aux notions héritées des Romains. Le traitement était administré sous plusieurs formes : boissons, bains, séances de vapeur, applications de boue…

Pharmacopées (suite)


Frontispice gravé sur cuivre placé avant la page de titre de la seconde partie de l'ouvrage, la Boutique pharmaceutique ou Antidotaire

Les multiples poudres, tisanes, décoctions, potions, emplâtres, cataplasmes, onguents, baumes ou pilules ainsi obtenus étaient proposés aux clients dans les boutiques des apothicaires.



Ce frontispice présente un arabe, un chinois et un indien d’Amérique qui boivent respectivement café, thé et chocolat, productions de leur pays d’origine.
Sylvestre Dufour faisait le commerce des épices.

Cependant, jusqu’au 19e s., fort peu de nouvelles plantes médicinales entrèrent dans les pharmacopées : venus d’Amérique du Sud ou d’Asie, quinquina et ipécacuanha pour les fièvres, mais aussi thé, café et chocolat, toujours vendus à prix d’or par leurs introducteurs, plus spéculateurs que pharmaciens, ne changèrent pas beaucoup la condition du malade.

Pharmacopées


Plantes et fruits sont minutieusement gravés dans ce jardin où apparaissent également des petits animaux et des personnages (sur la droite, le Temps, satyre ailé portant une faux, est la marque de Simon de Colines).

Au frontispice des pharmacopées, on découvre de merveilleux parcs échevelés et foisonnants comme on imaginait l’Eden...






Entre les parterres méticuleusement entretenus s’activent des jardiniers. Parmi les visiteurs, on reconnaît un médecin à son bonnet carré (en bas à gauche). Au milieu en haut est représentée l’apparition du Christ à la Madeleine. En bas, on reconnaît l’évangéliste saint Luc dit " le médecin " dans la Bible, avec son symbole, le bœuf.

...ou bien soigneusement ordonnés en carrés comme les " jardins de simples " des monastères...





Outre deux petits sujets de part et d’autre du titre (un médecin observant des urines à gauche, et une saignée à droite), cette page de titre présente une grande gravure (93 x 167 mm) qui regroupe plusieurs scènes enchaînées.
C’est sans doute au célèbre graveur allemand Hans Brosamer que l’on doit ces gravures fines et légèrement ironiques.
Après cueillette, les plantes étaient préparées selon des procédés complexes.

Dioscoridae pharmacorum simplicium reique medicae libri VIII (suite)


Un cerf blessé par un chasseur broute le légendaire dictame avec lequel Vénus cicatrisa la plaie
d’Enée.



Tout en haut, Hélène de Troye tient une plante magique, le nepenthes, dont le suc a dissipé le chagrin de Télémaque, et qui serait en fait une préparation à base d’opium.

P. Dioscoridae pharmacorum simplicium reique medicae libri VIII




Pour ce magnifique encadrement historié, le graveur s’est inspiré essentiellement de l’Histoire naturelle de Pline, et notamment d’un chapitre intitulé De certains animaux dont on a pris la propriété de plusieurs herbes (L. VIII, ch. 27).


On sait combien les hommes du 17e s. furent tristement ironiques devant les excès de la trilogie du saignare, purgare, clysterum donare, non seulement inefficace mais nocive : " L’un meurt vide de sang, l’autre plein de séné " écrivait Boileau…
Les médicaments utilisaient les vertus curatives des végétaux mais aussi de quelques venins ou sécrétions animales et de certaines substances minérales, composants soigneusement décrits par le grec Pedanius Dioscoride, médecin de Néron, dans une célèbre encyclopédie pharmaceutique qui fut universellement publiée et consultée pendant plus de quinze siècles.


Pompée le Grand qui tient une branche d’ébène comme lors de son triomphe à Rome après sa victoire sur Mithridate.



Aux pieds de Pompée, des oiseaux picorent des feuilles de laurier, car, selon Pline, cette plante a la vertu de leur faire recouvrer l’appétit qu’ils perdent tous les ans.



En dessous, une biche et son faon sont étendus sous un elaphoboscus (angélique sauvage ou " œil de cerf ") qui aidait au rétablissement de l’animal aprés la mise-bas.



Dans le coin gauche, une cigogne se soigne avec une branche d’origan...



...une belette mange des feuilles de rue en guise de contrepoison contre les morsures de serpent, un coq se régale de sideritis ou pariétaire...



... un ours réveille son intestin fatigué par le long jeûne de l’hibernation avec un arum...



... et un bouc dévore du plantain, dont les anciens prétendaient qu’il était un poison pour les bestiaux sauf pour les chèvres.



Entre l’arum et le plantain se dresse Mercure reconnaissable à son caducée entrelacé d’une plante mystérieuse ayant pour nom le moly : selon Homère, Mercure avait créé cet antidote universel et l’avait remis à Ulysse et ses compagnons pour les libérer des sortilèges de Circé.


Au dessus de Mercure, une hirondelle cueille une tige de chelidoine afin de soigner les yeux crevés de ses petits.
Un serpent gôute un pied de bétoine, plante qui, frottée sur les morsures, neutralisait le venin.



Le jardinier sur la droite est le botaniste grec Crateias (ou Cratevas, 2e-1e s. av. J.-C.), dont Pline a fait le plus grand éloge.

Allopathie, Séné, Clystères...



A l’aide d’une lancette, le chirurgien pratique la saignée en différents endroits du corps, à proximité du siège du mal : la tempe, le bras, la bouche, le pied
Pour chacune de ces opérations, la position des astres la plus susceptible d’assurer le succès du traitement est indiquée.

Cependant, quand la Nature et la discipline individuelle ne suffisaient plus on appliquait le principe du contraria contrariis curantur, fondement même de l’allopathie : ainsi, une surabondance de pituite était réduite par l’administration d’un médicament réputé chaud, et un excès de bile par celle d’un médicament réputé sec. Nul remède n’était connu pour la suppression du sang corrompu ou superflu : on faisait alors appel à un chirurgien qui pratiquait sans beaucoup de discernement la " très bonne, très sainte et très divine saignée ", parfois plusieurs fois par jour.



A droite, le ventre gonflé d’eau d’un hydropique est ponctionné ; autour, sont représentées des opérations plus courantes : amputation, incisions d’abcès et de loupe ; en haut à droite, une opération de la cataracte ; en haut à gauche, le repas du malade ; en bas, une salle d’hôpital où l'on remarque à droite un malade soigné par un passage en étuve.


Pour contrer une altération humorale, on employait des purgatifs (comme le célèbre séné) ou des clystères pour libérer les parties intérieures des substances viciées. Dans le cas d’une tension de l’organisme (strictus), on opposait des remèdes pour relâcher : la saignée toujours mais aussi des sudorifiques (ou des passages en étuve, ci-contre) pour l’apoplexie ou l’occlusion intestinale. S’il y avait relâchement (laxus), comme dans le choléra, on " resserrait " par des frictions ou des bains aromatiques.

Un arsenal thérapeutique immuable...



Plusieurs épisodes de la vie de Galien, bien connus grâce aux textes du maître lui-même qu’il aimait émailler d’anecdotes, illustrent ce frontispice qui sera reproduit en tête des quatre autres volumes des œuvres de Galien édités par les Giunta en 1565. Dans ces vignettes, il porte, de façon tout à fait anachronique, le haut chapeau rond des patriciens italiens de la Renaissance, mais certains autres personnages sont habillés à l’antique.


Hippocrate avait une grande confiance en la Nature : en cas de dérèglement humoral, il pensait qu’à des jours déterminés, se déclenchait une crise, sorte de nettoyage organique qui pouvait se manifester par exemple par des vomissements.



Au fond de son lit, le malade semble pris entre les conseils de patience du médecin (" Expecta " : "attend"), et les remèdes expéditifs de l’apothicaire qui arrive avec un flacon dans une main et un clystère dans l’autre.
L'auteur, qui n'est en rien apparenté au célèbre William Harvey (1578-1657), fut médecin du roi Guillaume III d'Angleterre en 1688.

Peu interventionniste en matière thérapeutique, il préférait attendre, convaincu qu’un médecin se doit d’abord de ne pas nuire (Primum non nocere).


Ce très beau frontispice ouvrant un volume des œuvres d’Hippocrate en latin et en grec présente sur plusieurs registres des épisodes de la vie de celui-ci et met également en scène plusieurs autres grands médecins de l’Antiquité et des civilisations arabe et byzantine, au mépris de toute vraisemblance chronologique et vestimentaire !

Pour garantir l’équilibre des humeurs, rien de mieux qu’une diététique quotidienne : régimes, exercices et modération en toutes choses

Des méthodes de diagnostic insuffisantes

Selon les principes hippocratiques, le diagnostic s’élabore aprés l’interrogatoire pointilleux du malade et de son entourage, et l’observation du faciés, de la langue, des yeux et surtout du pouls (mais on ne compte même pas les battements…), des urines, des selles et du sang du patient. Percussion, auscultation, prise de la température et de la tension artérielle, auxquelles nous sommes habitués, n’existeront pas avant le 18e s. Le médecin hippocratique émettait ensuite un pronostic avant de proposer une quelconque thérapeutique.




La patiente, portant son étui d’osier, attend le verdict du médecin, tandis qu’un jeune assistant lui tend un morceau de papier (peut-être est-ce la facture pour la consultation ?). De nombreuses matulae sont disposées sur des étagères. Comme l’annonce le titre, l’auteur a tenu compte pour ses interprétations de l’aspect des urines des théories traditionnelles (" galéniques ") aussi bien que plus récentes (" spagyriques ", c’est-à-dire " chimiques ", inspirées par Paracelse).


Aux 16e et 17e s., l’examen des urines était le plus pratiqué. N’appelait-on pas d’ailleurs les médecins, souvent représentés scrutant un flacon tenu à bout de bras, les " maîtres mires " ? On conseillait au patient de transporter le récipient contenant l’urine, sitôt après émission, à l’abri de la lumière et de toute source de chaleur dans un long étui d’osier. Après avoir versé le liquide dans un bocal spécifique (" urinal " ou matula), le praticien en observait à la lumière du soleil, immédiatement et après un délai de deux heures, la couleur, la transparence, la texture, l’odeur et même le goût



Outre l’habituelle présence d’Apollon et Hygie, on découvre en haut de cette image l’homme-zodiaque dont chaque partie du corps est reliée à un signe particulier (ex. : les " parties vénériennes " au Scorpion…).

Il disposait pour établir son diagnostic de manuels souvent illustrés de " cartes des urines " coloriées à l’aquarelle et qui renfermaient toutes les interprétations nécessaires. D’une manière générale, l’astrologie était largement prise en compte et la figure de l’homme-zodiaque, où chaque organe est relié à un signe, est une des plus anciennes dans l’illustration médicale.

Théorie des Quatres Humeurs


Hippocrate et Galien encadrent quatre figures symbolisant les quatre tempéraments humains, manifestations du " dosage " des quatre humeurs : tempérament colérique, sanguin, phlegmatique, mélancolique.
Au sommet, trône la Chirurgie, patronne de J. Guillemeau.



La Médecine a très longtemps été fidèle à des concepts directement hérités de l’Antiquité gréco-romaine et à peine modifiés.
Au premier rang de ceux-ci, la théorie des humeurs, établie par Hippocrate à partir de la philosophie pythagoricienne et affinée et systématisée par Galien, fut pendant des siècles un présupposé incontournable conditionnant étiologie et thérapeutique. Parmi les liquides du corps, Hippocrate retient quatre humeurs principales : le sang dont la source est le cœur, le phlegme ou pituite venu du cerveau, la bile jaune produite par le foie, et la bile noire ou atrabile concentrée dans la rate. Leur mélange en proportions harmonieuses (" crase ") induit l’état de santé. La maladie apparaît lorsque, sous l’effet d’un dérèglement humoral interne ou d’une agression externe (physique ou psychique), l’une des humeurs est altérée et devient nocive ou " peccante ", est en insuffisance ou en excès, ou s’isole et se met à fluer, causant une double douleur, à l’endroit qu’elle quitte et à l’endroit où elle se fixe.

On pensait toutefois qu’il y avait naturellement prédominance de telle ou telle humeur selon les âges de l’homme ou les saisons de l’année : le sang au printemps et dans l’enfance, le phlegme en hiver et dans la vieillesse, la bile jaune en été et dans la jeunesse, la bile noire en automne et dans l’âge mûr. Outre les quatre saisons de la nature et de la vie, ce sont aussi les quatre qualités élémentaires (chaud ou froid, sec ou humide), les quatre éléments et enfin les quatre grands " tempéraments " ou caractères humains qui sont liés aux humeurs.


Au médecin (reconnaissable à sa toge et son bonnet carré) qui s'avance vers elle, une femme tenant deux enfants par la main (la Sagesse ?) déclare : " Si tuum medicinae studium ad animum direxeris rex eris // Si solum modo ad corpus servus eris " (Si le médecin s'applique à l'étude de l'esprit, il sera un roi // S'il s'intéresse seulement au corps, il sera un esclave).

Hippocrate avait en effet une vision très globalisante de la santé et de la médecine et ne séparait jamais l’âme du corps, le moral du physique : c’est ce que décrit ce frontispice du 17e s. qui pourtant sur ce point était bien souvent loin de l’enseignement du maître de Cos.
Cette théorie de l’humorisme s’imposa longtemps comme une vérité intangible, sans doute grâce à l’apparente " cohérence " et à la " largeur de vue " de son exposition. N’a-t-on pas parlé jusqu’au 19e s. de spleen (rate) en anglais ou " hypochondrie " en français pour désigner la mélancolie, de caractères " c(h)olérique ", " phlegmatique ", " sanguin " ou " bilieux " ?